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LE CLÉZIO JEAN-MARIE GUSTAVE (1940- )

Jean-Marie Gustave Le Clézio - crédits : Ulf ANDERSEN/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Jean-Marie Gustave Le Clézio

Lorsqu'il obtint, en 1963, le prix Renaudot pour son roman Le Procès-verbal, Jean-Marie Gustave Le Clézio n'était guère, pour le public, qu'un visage dont on soulignait la jeunesse et la beauté nordique, et ces trois initiales qui, dès la page de garde, posaient le signe de l'énigme. La critique, louangeuse ou méfiante, restait obnubilée par le mystère et l'étrangeté : elle en appelait à William Blake, à Lautréamont, voire à Samuel Beckett. On s'en tenait là, en général, après une lecture rapide.

Une certaine forme d'absence

D'ascendance anglaise par son père et bretonne par sa mère, J.-M. G. Le Clézio partage ses études secondaires et supérieures entre la côte méditerranéenne, à Nice, où il naquit en 1940, et les rivages de l'Angleterre, à Bristol. Depuis son prix Renaudot, qu'il obtint à vingt-trois ans, il poursuit une carrière littéraire dont l'étonnante régularité s'inscrit en marge des courants et des modes. Quant aux influences, elles sont difficiles à cerner. Passé Le Procès-verbal, l'œuvre oublie les voies du Nouveau Roman. Et si elle reste plus fidèle à une certaine tradition fantastique et visionnaire, c'est sans rien devoir vraiment au rire mordant de Lautréamont ni au surréalisme de William Blake.

À la vérité, l'invention de Le Clézio paraissait d'abord sans précédent. Mais, après les grands romans glacés des premières années, on a mieux vu se dessiner des versants, des thèmes privilégiés, et du même coup se révéler des héritages. Aujourd'hui, face au paysage que compose l'univers le clézien, on reconnaît au moins trois grands axes d'orientation : une exceptionnelle sensibilité aux choses ; une relation privilégiée au monde amérindien ; enfin, et sur le plan de l'écriture cette fois, un progressif retour à des formes narratives conventionnelles. Trois traits qu'on doit d'ailleurs éviter aussitôt de distinguer trop nettement, tant ils paraissent profondément liés en une unique et constante appréhension du fait romanesque.

Tous les romans de Le Clézio mettent en scène une certaine forme d'absence. Terra amata, par exemple, s'ouvre sur une puissante évocation de la terre, du soleil, de la vie animale et végétale, d'où l'homme est exclu. Dans L'Extase matérielle, c'est le gonflement de la vie « quand je n'étais pas né » qui fournit à la rêverie le premier objet de son émerveillement. Quant aux Voyages de l'autre côté, ils s'achèvent dans ces terres où « il n'y avait pas d'herbes, pas d'arbres, pas d'hommes, rien ». À l'horizon du texte se dresse cette vision élémentaire d'où tout part et où tout retourne inéluctablement, ce « désert » auquel un grand roman, sous ce titre, consacre un hymne véritable. Là, rien n'a de signification. Tout s'abolit, jusqu'à la distinction des genres et des formes ; mais, là aussi, le roman prend sa source en même temps que l'essai : l'un et l'autre s'y confondent : « Il y a cette étendue déserte, et belle, cette étendue libre. C'est là que naît le langage, simplement, comme un phénomène du ciel. Il se déroule et enveloppe la terre, et nous sentons passer son onde froide » (Vers les icebergs). Mais, remontant jusqu'à cette origine absolue du paysage et du phantasme, l'écriture découvre que les mots eux-mêmes n'y ont aucune place. « C'était hors des sentiments, loin des mots douteux du langage, loin des signes affolés de l'écriture. » Actes sans origine ni destination, acteurs sans conscience et sans destin sont les termes d'un drame de vents, d'herbes, de terres et de lumière où les seules modifications résultent de l'usure géologique et des variations climatiques.

Ce drame élémentaire[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres, docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université Stendhal, Grenoble

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Pour citer cet article

Christian DOUMET. LE CLÉZIO JEAN-MARIE GUSTAVE (1940- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Jean-Marie Gustave Le Clézio - crédits : Ulf ANDERSEN/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Jean-Marie Gustave Le Clézio

Autres références

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    Un mois après la parution de Ritournelle de la faim (Gallimard, Paris, 2008), J.-M. G. Le Clézio s'est vu attribuer le prix Nobel de littérature 2008 pour l'ensemble de son œuvre. Né à Nice en 1940, d'une famille bretonne émigrée à l'île Maurice, Le Clézio est une figure littéraire aussi célèbre qu'inclassable...

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  • LE PROCÈS-VERBAL, Jean-Marie-Gustave Le Clézio - Fiche de lecture

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    • 862 mots

    Jean-Marie Gustave Le Clézio se fait connaître en 1963 à l'âge de vingt-trois ans, à l'occasion de la sortie de son premier livre, Le Procès-verbal. Cette œuvre, où s'amorce la volonté d'une écriture audacieuse, reçoit le prix Renaudot. Depuis, les romans alternent avec les recueils...

Voir aussi