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CHARDIN JEAN-BAPTISTE SIMÉON (1699-1779)

Le métier

La manière de Chardin, son goût pour la vérité simple ne pouvaient que surprendre ses contemporains épris du maniérisme aristocratique et factice que dispensaient alors Boucher, Lancret, Pater et, avec eux, tous les petits maîtres du xviiie siècle.

Mariette lui-même, grand amateur de dessin, a peine à comprendre que Chardin dessine peu et il tient pour un défaut d'imagination que « monsieur Chardin [soit] obligé d'avoir continuellement sous les yeux l'objet qu'il se propose d'imiter... » Car, pour les hommes du temps, voir et imiter, c'est tout un (« quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux », écrivait déjà Pascal). Aussi ne leur vient-il point à l'idée qu'on puisse aller plus loin par le regard qui observe et recréée que par le don, commun aux peintres officiels, d'imaginer dans le seul respect des conventions établies.

Et la technique de Chardin étonne, autant que son goût du vrai, ceux mêmes qui l'admirent. « La manière de peindre de Chardin est singulière », écrit Bachaumont. « Il place ses couleurs l'une après l'autre, sans presque les mêler de façon que son ouvrage ressemble un peu à de la mosaïque. »

Habitués à la technique vernissée du xviiie siècle, les amateurs d'alors comprenaient mal qu'un tableau, peu lisible de près, pût à distance si parfaitement se composer, ni qu'à une manière, apparemment respectueuse des traditions, répondit une technique aussi nouvelle.

Ce que Chardin veut exprimer n'a plus rien à voir, en effet, avec la classique opposition des Hollandais entre l'ombre et la lumière. Séparant ses touches, il obtient par des procédés qui lui sont propres, le fondu parfait de l'œuvre terminée et s'efforce, comme dans Le Gobelet d'argent du Louvre, d'animer chaque objet, chaque moment, de la lumière et de la teinte de tout ce qui l'entoure. Les innovations techniques de Chardin touchent notre sensibilité ; car ce que l'on aime aujourd'hui à découvrir dans une œuvre, c'est le « faire » d'un peintre, c'est la présence sensuelle, spontanée et vécue de la touche, alors que la vieille tradition académique du métier parfait, exigeait encore, au temps de Louis XV, pour qu'une œuvre fût tenue pour achevée, que la trame de son exécution ne fût jamais apparente.

C'est pourtant à ce métier même (qu'un contemporain qualifiait de « brut » et de « raboteux ») que Chardin doit aujourd'hui, par notre admiration, d'être toujours présent.

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Pour citer cet article

Philippe LEVANTAL. CHARDIN JEAN-BAPTISTE SIMÉON (1699-1779) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

La Raie, J.-B. S. Chardin - crédits : G. Dagli orti/ De Agostini/ Getty Images

La Raie, J.-B. S. Chardin

<it>Nature morte à la tourte, au citron et au pain</it>, P. Claesz - crédits :  Bridgeman Images

Nature morte à la tourte, au citron et au pain, P. Claesz

L'Enfant au toton, J.-B. S. Chardin - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

L'Enfant au toton, J.-B. S. Chardin

Autres références

  • AUTOPORTRAIT, peinture

    • Écrit par Robert FOHR
    • 3 573 mots
    • 6 médias
    ...(1885-1887, Fondation Bührle, Zurich) et Modigliani (1919, museu de Arte, Saõ Paulo) qui ont su la renouveler en en faisant un manifeste de leur art, Chardin, dans son merveilleux Autoportrait à l'abat-jour vert (pastel, 1775, musée du Louvre) l'avait portée à sa perfection par un subtil mélange...
  • LES CHOSES. UNE HISTOIRE DE LA NATURE MORTE (exposition)

    • Écrit par Robert FOHR
    • 1 178 mots
    • 1 média
    ...revisitées par le Pragois Jan Švankmajer dans le court-métrage d’animation Les Possibilités du dialogue (1982). Les subtiles peintures d’animaux morts de Chardin (Un lapin, deux grives mortes et quelques brins de paille sur une table de pierre, vers 1755, musée de la Chasse et de la Nature, Paris) ouvraient...
  • NATURE MORTE

    • Écrit par Robert FOHR
    • 5 700 mots
    • 10 médias
    ...tout celui de l'intimité bourgeoise et d'un certain retour aux valeurs et à la quiétude domestiques, que célèbrent, dans la peinture d'objets notamment, Chardin et ses émules (Bounieu, le Suisse Liotard et, avec davantage d'afféterie, Roland de La Porte). L'évolution de Chardin lui-même, depuis de grandes...
  • PEINTURE - Les théories des peintres

    • Écrit par Daniel ARASSE
    • 3 800 mots
    • 3 médias
    ...tenu pour novateur. L'Académie royale garde tout son prestige, elle reste lieu où s'élaborent conjointement l'art « moderne » et sa théorie. Le cas de Chardin est à cet égard très révélateur : il fait de la nature morte et du genre le plus « bas » le but philosophique de la création picturale ;...

Voir aussi