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CHARDIN JEAN-BAPTISTE SIMÉON (1699-1779)

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Tableaux d'objets et scènes intimes

La fidélité d'un peintre à soi-même rend ici bien vaine toute chronologie, et de Chardin, comme de Corot, l'on pourrait dire que le fil de leur vie tient à la tendresse pénétrante du regard constant qu'ils portent aux êtres et aux choses, à cette lumière candide dont ils les baignent et les font s'interpénétrer.

Officiellement peintre de fruits et d'animaux, Chardin n'aborde la figure qu'après 1730, année de son premier mariage, avec Marguerite Saintard, dont il aura deux enfants. Veuf en 1735, il perd, à la même époque, sa fille Marguerite Agnès et, remarié en 1744 avec Marguerite Pouget, voit encore mourir en bas âge la fille qu'il avait eue de son second mariage.

Peut-être l'influence toute flamande du portraitiste Aved décida-t-elle Chardin à ne point se limiter à la seule peinture des objets ; peut-être aussi Chardin fut-il sensible à ce qu'Aved, un jour, lui aurait dit qu'il est « plus difficile de peindre un portrait qu'un cervelas ».

Mais l'on peut supposer aisément qu'atteint en ce qu'il avait de plus cher, Chardin eût, de toute manière, incliné à recréer, fût-ce pour lui seul, des scènes d'intimité telles que Le Bénédicité ou La Toilette du matin, évocatrices d'une vie familiale qu'il avait perdue.

L'Enfant au toton, J.-B. S. Chardin - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

L'Enfant au toton, J.-B. S. Chardin

Aussi son œuvre est-elle double : tableaux d'objets, d'animaux et de fruits, qui ne sont jamais des « natures mortes », tableaux d'intimité, scènes de la vie domestique, qui, mis à part les autoportraits au pastel des dernières années, ne sont pas des portraits au sens où l'on entendait ce genre au xviiie siècle.

Et, par-delà ces distinctions, l'unité de l'œuvre est là, faite d'un admirable métier, d'un espace toujours clos sur lui-même (à la différence des Hollandais, Chardin n'ouvre point de fenêtre ou d'échappée sur le monde extérieur) où l'objet immobile s'anime de vie silencieuse. Le geste de l'Écureuse, du Garçon Cabaretier, celui de la Dame cachetant une lettre, la pose même de la Pourvoyeuse, comme surprise en flagrant délit par le peintre, s'interrompant et s'éternisant au point de prendre une indicible valeur de symbole, se situent au sein d'un espace absolu, intemporel qu'il s'agit de ne point troubler car tout y est à sa place, une fois pour toutes, par une harmonie secrète, longuement méditée, dont on subit le charme sans jamais (et pourquoi le faire ?) pleinement pouvoir le définir.

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Pour citer cet article

Philippe LEVANTAL. CHARDIN JEAN-BAPTISTE SIMÉON (1699-1779) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

La Raie, J.-B. S. Chardin - crédits : G. Dagli orti/ De Agostini/ Getty Images

La Raie, J.-B. S. Chardin

L'Enfant au toton, J.-B. S. Chardin - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

L'Enfant au toton, J.-B. S. Chardin

<it>Nature morte à la tourte, au citron et au pain</it>, P. Claesz - crédits :  Bridgeman Images

Nature morte à la tourte, au citron et au pain, P. Claesz

Autres références

  • AUTOPORTRAIT, peinture

    • Écrit par
    • 3 573 mots
    • 6 médias
    ...(1885-1887, Fondation Bührle, Zurich) et Modigliani (1919, museu de Arte, Saõ Paulo) qui ont su la renouveler en en faisant un manifeste de leur art, Chardin, dans son merveilleux Autoportrait à l'abat-jour vert (pastel, 1775, musée du Louvre) l'avait portée à sa perfection par un subtil mélange...
  • LES CHOSES. UNE HISTOIRE DE LA NATURE MORTE (exposition)

    • Écrit par
    • 1 178 mots
    • 1 média
    ...revisitées par le Pragois Jan Švankmajer dans le court-métrage d’animation Les Possibilités du dialogue (1982). Les subtiles peintures d’animaux morts de Chardin (Un lapin, deux grives mortes et quelques brins de paille sur une table de pierre, vers 1755, musée de la Chasse et de la Nature, Paris) ouvraient...
  • NATURE MORTE

    • Écrit par
    • 5 700 mots
    • 10 médias
    ...tout celui de l'intimité bourgeoise et d'un certain retour aux valeurs et à la quiétude domestiques, que célèbrent, dans la peinture d'objets notamment, Chardin et ses émules (Bounieu, le Suisse Liotard et, avec davantage d'afféterie, Roland de La Porte). L'évolution de Chardin lui-même, depuis de grandes...
  • PEINTURE - Les théories des peintres

    • Écrit par
    • 3 800 mots
    • 3 médias
    ...tenu pour novateur. L'Académie royale garde tout son prestige, elle reste lieu où s'élaborent conjointement l'art « moderne » et sa théorie. Le cas de Chardin est à cet égard très révélateur : il fait de la nature morte et du genre le plus « bas » le but philosophique de la création picturale ;...