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GREUZE JEAN-BAPTISTE (1725-1805)

Une tentative malheureuse dans le genre historique

On ne vit pas Greuze au Salon de 1767, et l'on murmura qu'il s'était vu fermer le Salon faute d'avoir présenté à l'Académie son tableau de réception. Il y eut, de fait, une lettre de Charles-Nicolas Cochin, le secrétaire de la compagnie, pour rappeler Greuze à son devoir. Il se mit en peine d'une assez médiocre machine à sujet historique, aujourd'hui au musée du Louvre, L'Empereur Septime Sévère reproche à Caracalla, son fils, d'avoir voulu l'assassiner dans les défilés d'Écosse et lui dit : « Si tu désires ma mort, ordonne à Papinien de me la donner avec cette épée. » Cochin déclara au marquis de Marigny que « le tableau que M. Greuze a apporté est rempli d'incorrections de dessin intolérables, d'une couleur triste, lourde et soutenue d'ombres noires et sales ; le faire en est pesant et fatigué ; point de choix dans la manière d'agencer et de draper ; les expressions même qu'il se flattoit d'avoir rendues d'une manière surprenante, outre qu'elles sont équivoques, sont malheureusement attachées à des caractères bas et triviaux. Tout le monde a été surpris et affligé, on se regardait sans rien dire. Il y eut lieu de craindre que le tableau ne fût refusé ; on raisonna par pelotons, et on convint qu'il ne convenoit pas qu'un homme du mérite de M. Greuze fût refusé, quelque mauvais que fût son tableau. » Greuze ambitionnait d'être reçu peintre d'histoire, qualification à laquelle étaient attachées le plus de prérogatives ; on le reçut peintre de genre. Il se cabra contre cette décision, et on ne le revit plus à l'Académie. Cependant, il s'entête à défendre son malheureux essai historique, en fait parade au Salon, en appelle au jugement du public, et en privé impute son échec à Blondel d'Azincourt qui était au mieux avec Mme Greuze. La critique cessa de lui être uniment favorable, et Greuze, piqué, ne parut plus au Salon pour longtemps. La vanité n'était pas le moindre de ses traits de caractère. Certes, le sentiment de s'être élevé par son seul talent, hors de tout atelier, dut-il enfler à l'excès son orgueil : « Oh ! monsieur, s'exclama-t-il un jour, vous allez voir un morceau qui m'étonne moi-même qui l'ai fait. Je ne comprends pas que l'homme peut, avec quelques minéraux broyés, animer ainsi une toile. » Diderot lui-même se lasse de « l'énorme présomption qu'il a de son talent » et gémit, dès 1769, sur « l'indigne nature de ce Greuze ».

<it>La Cruche cassée</it>, J.-B. Greuze - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

La Cruche cassée, J.-B. Greuze

Après sa mésaventure académique, Greuze eut souci de retrouver la faveur du public par toutes sortes d'artifices. Il expose désormais dans son atelier, mais inspire les gazetiers et coquette avec les amateurs. Ayant annoncé sa Malédiction paternelle, il ne montre d'abord l'ouvrage qu'aux intimes et aux princes du sang. Joseph II en personne, le frère de Marie-Antoinette, visite son atelier qu'il n'ouvre au public qu'après la clôture du Salon. La même année, 1777, il expose son Portrait de Franklin, le grand homme à la mode ; puis, c'est La Cruche cassée(musée du Louvre, Paris) dont il assure le succès en feignant de refuser le droit de la reproduire. Le Journal de Paris annonce cependant qu'un artiste « après avoir contemplé ce chef-d'œuvre, a pu le graver de mémoire et que les souscripteurs de la feuille profiteront ainsi de ce spectacle ».

<em>La Jeune fille à la colombe</em>, J.-B. Greuze - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

La Jeune fille à la colombe, J.-B. Greuze

Lié à la littérature de la mélancolie, le genre sentimental trouve encore un fervent accueil. En 1777, les Lettres pittoresques attestent que « le goût de la peinture familiale est passé de l'opéra comique sur la toile. Ce sont autant de situations gracieuses ou attendrissantes tirées de nos drames modernes ». Et l'année suivante, Sautreau de Marsy, qui[...]

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Pour citer cet article

Jacques GUILLERME. GREUZE JEAN-BAPTISTE (1725-1805) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>La Jeune fille à la colombe</em>, J.-B. Greuze - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

La Jeune fille à la colombe, J.-B. Greuze

<it>La Cruche cassée</it>, J.-B. Greuze - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

La Cruche cassée, J.-B. Greuze

<it>L'Accordée de village</it>, J.-B. Greuze - crédits : G. Dagli orti/ De Agostini/ Getty Images

L'Accordée de village, J.-B. Greuze

Autres références

  • NÉO-CLASSICISME, arts

    • Écrit par Mario PRAZ, Daniel RABREAU
    • 8 074 mots
    • 13 médias
    ...tirés d'Homère. La nouveauté de David ne consistait pas dans le choix du sujet, car les sujets, « antiques », étaient à la mode depuis quelque temps ( Jean-Baptiste Greuze, en 1769, dans Reproches de Septime Sévère à son fils Caracalla, reprenait le motif classique et poussinien de la Mort de Germanicus...
  • PEINTURE - Les théories des peintres

    • Écrit par Daniel ARASSE
    • 3 800 mots
    • 3 médias
    Il peut être instructif d'étudier Greuze en se souvenant des indications de Klee, d'y chercher la multiplicité des chemins ménagés dans l'œuvre : L'Oiseau mort, La Cruche casséeont été ainsi « décryptés » dès le xviiie siècle. Après tout, un tableau classique « fonctionne...
  • PEINTURE DE GENRE

    • Écrit par Anne le PAS de SÉCHEVAL
    • 3 530 mots
    • 18 médias
    ...les hommes tels qu'ils devraient être, et la comédie, les montrant tels qu'ils sont. Loin de la critique sociale mordante de Hogarth, les tableaux de J.-B. Greuze traduisent le culte de la sensibilité, qui en France caractérise nombre de créations littéraires à partir des années 1760 (La Nouvelle...

Voir aussi