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GREUZE JEAN-BAPTISTE (1725-1805)

Vouée à l'Éros larmoyant ou à la scénographie des vertus familiales, l'œuvre de Greuze est marquée par la liaison qu'il a nouée entre moyens picturaux, superbement dominés, et thématisation littéraire. Son œuvre révèle les goûts explicités et les aliénations secrètes de la brillante société de la France des « philosophes ». Il conduisit sa carrière de peintre hors des moyens traditionnels, s'élevant par toute sorte d'habiletés qui préfigurent les ruses de la promotion publicitaire.

Une peinture édifiante

Jean-Baptiste Greuze naquit à Tournus : son père le destinait à l'architecture. Il obtint de parfaire ses dons de dessinateur dans l'atelier du peintre lyonnais Grandon, et monta à Paris vers 1750. On y connaît mal ses débuts. Jeune provincial, inconnu et ombrageux, il ne se fixa dans aucun atelier, mais dessinait le modèle à l'Académie. Il eut la chance d'être remarqué par La Live de Jully, un riche amateur curieux de talents neufs. Greuze avait déjà peint son Père de famille expliquant la Bible à ses enfants ; cette peinture séduisit La Live qui l'exposa chez lui, la vanta partout et rendit vite célèbre son auteur. En prenant pour thème cette scène édifiante, qui contrastait si fort avec l'hédonisme rococo, Greuze rencontrait à point le goût tout neuf pour la morale du sentiment ; aussi une bonne part de ses inventions seront-elles vouées à illustrer les délices de la vertu. La faveur qui accueille sa Mère bien-aimée ou sa Dame de charité marque l'avènement en peinture d'un genre sentimental et prédicant qui survivra jusqu'à la fin du siècle suivant, et dont le « réalisme socialiste » produit encore des avatars. Cette peinture didactique doit son succès à l'essor d'une mentalité bourgeoise qui n'épargne pas la classe noble.

Les références littéraires de cet art édifiant furent d'abord anglaises : « best seller » s'il en fut, Pamela, que Richardson sous-titra Virtue Rewarded (La Vertu récompensée), révéla les ressources romanesques d'une émotivité raffinée qui ne tarde pas à engendrer un goût prononcé pour le pathétique. Le spleen ayant traversé la Manche, on découvre avec ravissement le sentiment germanique de la nature. On conviendra avec Rousseau que l'on a des sentiments avant des idées. En 1761, La Nouvelle Héloïse dévoile un monde peuplé d'amants passionnés, de villageois vertueux, d'animaux fidèles et de sages bienfaisants. Cependant, Marmontel publie ses Contes moraux, et Diderot écrit l'Éloge de Richardson qui paraît en janvier 1762 dans le Journal étranger. Greuze se fait l'illustrateur patenté de cet univers d'honnêteté.

La faveur publique lui avait donné accès à l'Académie ; reçu comme agréé en 1755, il pouvait désormais exposer au Salon. Il part, cependant, pour l'Italie, en compagnie de l'abbé Gougenot, ce riche connaisseur à qui l'on doit un catalogue de la galerie du Luxembourg. Le séjour romain n'influence guère Greuze qui était déjà formé. Tout comme Boucher, il demeure indifférent aux suggestions de l'antique ; les grands modèles classiques ne paraissent pas l'avoir impressionné non plus ; à peine peut-on supposer une influence de Guido Reni et de Carlo Dolci dont les figures sont proches de ses têtes d'expression. Il quitte l'Italie, en avril 1757. Revenu à Paris, il ne tarde pas à épouser, pour son malheur, la fille du libraire Babuti.

L'année 1761 marque une étape importante de la carrière de Greuze. Il expose de bons portraits, notamment un Buste de Mgr le Dauphin – signe de sa faveur – et La Babuti en vestale - signe de son accommodement au goût du temps – : « tout se fait aujourd'hui à la grecque », écrivait Grimm à la même époque. Surtout importe la composition qui deviendra fameuse[...]

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Pour citer cet article

Jacques GUILLERME. GREUZE JEAN-BAPTISTE (1725-1805) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>La Jeune fille à la colombe</em>, J.-B. Greuze - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

La Jeune fille à la colombe, J.-B. Greuze

<it>La Cruche cassée</it>, J.-B. Greuze - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

La Cruche cassée, J.-B. Greuze

<it>L'Accordée de village</it>, J.-B. Greuze - crédits : G. Dagli orti/ De Agostini/ Getty Images

L'Accordée de village, J.-B. Greuze

Autres références

  • NÉO-CLASSICISME, arts

    • Écrit par Mario PRAZ, Daniel RABREAU
    • 8 074 mots
    • 13 médias
    ...tirés d'Homère. La nouveauté de David ne consistait pas dans le choix du sujet, car les sujets, « antiques », étaient à la mode depuis quelque temps ( Jean-Baptiste Greuze, en 1769, dans Reproches de Septime Sévère à son fils Caracalla, reprenait le motif classique et poussinien de la Mort de Germanicus...
  • PEINTURE - Les théories des peintres

    • Écrit par Daniel ARASSE
    • 3 800 mots
    • 3 médias
    Il peut être instructif d'étudier Greuze en se souvenant des indications de Klee, d'y chercher la multiplicité des chemins ménagés dans l'œuvre : L'Oiseau mort, La Cruche casséeont été ainsi « décryptés » dès le xviiie siècle. Après tout, un tableau classique « fonctionne...
  • PEINTURE DE GENRE

    • Écrit par Anne le PAS de SÉCHEVAL
    • 3 530 mots
    • 18 médias
    ...les hommes tels qu'ils devraient être, et la comédie, les montrant tels qu'ils sont. Loin de la critique sociale mordante de Hogarth, les tableaux de J.-B. Greuze traduisent le culte de la sensibilité, qui en France caractérise nombre de créations littéraires à partir des années 1760 (La Nouvelle...

Voir aussi