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PATOČKA JAN (1907-1977)

Philosophe tchèque de réputation mondiale, signataire du Manifeste de la Charte 77, Jan Patočka était venu étudier à Paris en 1929. Il est alors introduit par Alexander Koyré et par Georges Gurvitch à la philosophie phénoménologique allemande et assiste aux Pariser Vorträge de Husserl, noyau des futures Méditations cartésiennes. En 1932-1933, à Berlin, il s'initie, sous la direction de Nicolai Hartmann, de Werner Jaeger et de Jacob Klein, à la philosophie grecque, principalement à Aristote. À Fribourg-en-Brisgau, il travaille auprès de Husserl, lui-même professeur emeritus depuis 1929 ; il assiste aux cours de Heidegger et suit de près les recherches de Eugen Fink. Dès son retour à Prague, il participe à la création du Cercle philosophique de Prague, qui, de 1934 à 1939 et de la fin de la Seconde Guerre mondiale à 1948, fut, avec le Cercle linguistique de Prague, un des centres les plus vivants de la pensée européenne. Husserl y donne, à l'automne de 1935, les conférences d'où devait sortir La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1936).

Jan Patočka préserva durant toute sa vie une double allégeance : à la métaphysique, comme ressource ancienne et comme source actuelle de questionnement ; à la phénoménologie, comme méthode de rupture avec le sens commun, de radicalisation des questions et de clarification des contextes. Du conflit latent entre ces deux exigences il ne paraît encore rien dans la thèse de 1936 (rééditée à Prague en 1971 et publiée à La Haye en traduction française, en 1976, avec une Postface dont nous parlerons plus loin). Cet ouvrage, intitulé Le Monde naturel comme problème philosophique, exprime des idées voisines de celles de Husserl dans La Crise des sciences européennes, concernant l'enracinement de tous les savoirs théoriques dans un « monde de la vie », dont la perception et le souci quotidien définissent le niveau.

Au moment où l'invasion s'abat sur la Tchécoslovaquie, Jan Patočka est en train de joindre à l'influence majeure de Husserl, et à celle encore discrète de Heidegger, la stimulation des écrits de jeunesse de Marx (dont la découverte est encore récente) et de se rapprocher des thèses que M. Merleau-Ponty, d'une part, en liaison avec le thème de la corporéité, A. Banfi et E. Paci, d'autre part, en rapport avec l'histoire, devaient approfondir. Les quelques articles publiés après 1948 (en particulier autour des années 1967 et 1968) sur Husserl et la phénoménologie permettent de discerner dans quel sens sa pensée évolua par la suite. D'un côté, prenant une conscience toujours plus aiguë de sa première allégeance, celle qu'il avait par rapport à la philosophia perennis, il s'éloigna toujours plus des thèses par lesquelles la phénoménologie transcendantale de Husserl entendait s'instituer elle-même en philosophie première, ce qui explique ses emprunts de plus en plus nombreux à l'ontologie de Heidegger. Mais sa fidélité à Husserl ne fut jamais éclipsée ; elle ne cessa de motiver son attachement tenace au problème princeps de la phénoménologie et son refus de suivre Heidegger au-delà de Sein und Zeit et, d'une façon générale, au-delà de ce qui, dans ce chef-d'œuvre, lui paraissait authentiquement phénoménologique. On peut dire que la compétition entre les deux allégeances — à la philosophie première et à la phénoménologie de Husserl — a conduit Patočka à un véritable dilemme dont témoigne la Postface jointe en 1976 à la traduction française de l'ouvrage de 1936. D'un côté, en effet, le dynamisme de l'épochè husserlienne entraîne la réflexion non seulement au-delà de tout donné, mais au-delà de l'acte réflexif lui-même. D'un autre côté, la réflexion est l'acte d'une vie finie, relevant d'une phénoménologie de la finitude fondamentale. Mais[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

Classification

Pour citer cet article

Paul RICŒUR. PATOČKA JAN (1907-1977) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • PHÉNOMÉNOLOGIE

    • Écrit par Renaud BARBARAS, Jean GREISCH
    • 7 242 mots
    • 2 médias
    ...husserliennes, une telle perspective voit dans la phénoménologie du corps propre – corps vivant, sensible et mobile – la clé du problème de l'intentionnalité. Telle est la position du philosophe tchèque Jan Patočka (1907-1977). Celui-ci dénonce chez Husserl la réduction injustifiée de la phénoménalité à des...

Voir aussi