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INCIVILITÉ

Civilité et incivilité

Encyclopédies et dictionnaires font bien voir ce qu'est l'incivilité : l'oubli des convenances et du savoir-vivre, des paroles et des actions dénotant une absence de courtoisie. Est donc dit incivil celui qui n'observe pas les usages et dont le comportement est grossier, violent, brutal. En ce sens, l'incivil est incivilisé, et l'incivilisation a été caractérisée, au début du xixe siècle, par Joubert : « La civilisation – grand mot dont on abuse. C'est ce qui rend civil. Il y a civilisation par la pudeur, la bienveillance, la justice ; car tout cela unit les hommes ; incivilisation et retour à la barbarie par l'esprit de contestation, l'irreligion, l'imprudence, l'audace, l'ambition de tous, l'amour constant de son bien-être, l'ardeur du gain, etc. ; car tout cela nous désunit d'avec les autres et attache chacun à soi » (Carnets, 1823).

Avec la barbarie évoquée par Joubert, un trio classique entre en scène : le sauvage, le civilisé, le barbare. Le premier est conforme à l'état de nature : il vit à l'écart des formes de civilisation dites évoluées et reste proche de la condition primitive. Du civilisé on dira qu'il est éduqué selon et pour les exigences de la vie de société, et, qu'ayant acquis un certain degré de développement matériel, moral, social, il peut être policé jusqu'au raffinement. Le barbare est classiquement déclaré « étranger », soit par sa race, soit par son appartenance à une autre civilisation dont il ne parle pas la langue. On laissera de côté le sens laudatif que Herder lui a conféré, à la fin du xviiie siècle, dans sa philosophie de l'histoire qui vante sa force instinctive et sa naïveté. Le barbare, avec la péjoration qui pointe dans sa désignation, est celui qui va à l'encontre du bon goût, des règles et des lois de la raison ; celui qui contrevient aux formes intellectuelles, esthétiques et morales d'un certain humanisme ; celui qui vit dans un état de violence, d'oppression, de tyrannie. Réputé cruel et sans humanité, le barbare est aussi cet être grossier qui contemple de près ou de loin les splendeurs d'une civilisation dont il ne saisit pas les bienfaits, et que, faute de la comprendre, de savoir en jouir et de pouvoir l'enrichir, il va s'appliquer à détruire. Il est alors appelé vandale.

Le « bestiaire » social est riche de ces figures situées dans cette catégorie. Mal dégrossis, irrespectueux des convenances qui régissent la vie en société, tels sont : le goujat, qui tient des propos offensants et qui érige en système de vie la goujaterie ; le mufle, aussi vulgaire qu'indélicat – dit aussi muflard ou mufleman –, grand praticien de la muflerie ; le maroufle, le maraud, le marlou, le malotru, le butor et sa compagne la butorde qui font dans la butorderie, etc. Le mauvais ton, les manières libres, l'impudence, l'incongruité, l'inconvenance sont le lot de ces variétés sociales enlisées dans la rusticité. À l'inverse, la sociabilité et la courtoisie sont les traits distinctifs de la civilité qui implique l'observation des règles du savoir-vivre, sur fond de communauté organisée, de civilitas. Elle culmine dans l'urbanité, qui qualifie les manières civiles des anciens Romains, et dans l'atticisme fait d'élégance, de finesse, de précision et de pureté dans l'expression – toutes qualités dont les béotiens sont dépourvus. Le tact et le sens des nuances sont l'apanage de ceux qui ajoutent les raffinements de la politesse aux règles élémentaires de la civilité. Aux traits psychologiques – l'affabilité, l'aménité, l'amabilité, c'est-à-dire la douceur dans les relations, la politesse qui charme et le désir de plaire – correspondent des aspects sociaux – la correction, la convenance, la bienséance –,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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Pour citer cet article

Bernard VALADE. INCIVILITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009