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IMITATION DE JÉSUS-CHRIST

Une spiritualité des états de conscience

Destinée à des moines, l'Imitation limite le plus souvent ses perspectives aux horizons du cloître, mais la profondeur de ses vues spirituelles et sa richesse psychologique sont telles que les fidèles chrétiens dans leur ensemble ont pu y trouver leur aliment. Les tentatives faites pour découvrir dans les trois premiers livres un plan continu sont à la vérité peu convaincantes, moins encore celles qui veulent y voir une correspondance avec les trois voies, purgative, illuminative et unitive. Le texte définitif en est assurément composite. Cependant, il faut reconnaître que le plan final adopté par l'auteur présente une réelle gradation, un passage nuancé du problème ascétique de l'acquisition des vertus à l'amour de la Croix et au dialogue intérieur avec le Christ.

La suprématie accordée à la vie intérieure sur les œuvres extérieures n'a rien de spécifiquement monastique : c'est un trait de la Devotio moderna, comme aussi le primat de la prière personnelle sur les formes liturgiques. Mais cela conduit l'Imitation à une véritable intériorisation de l'ascèse qui est particulièrement intéressante à une époque où l'on abusait facilement des pénitences corporelles : l'ouvrage fait preuve à cet égard d'une remarquable discrétion.

Le caractère christologique de cette œuvre est particulièrement frappant. Tout y est centré sur l'union au Christ : le terme « imitation » ne rend compte ici que très imparfaitement du contenu. La contemplation de l'humanité du Christ y est attentive et profonde. Elle se colore parfois d'une nuance doloriste par son insistance sur le rôle de la souffrance dans la vie de Jésus. P. Debongnie a pu relever à ce sujet une certaine influence de Suso. Cependant, l'Imitation n'y met pas autant de violence que celui-ci et s'en tient aux demi-teintes. En revanche, elle revêt l'union au Christ d'un aspect à la fois personnaliste et psychologique, en lui donnant la forme d'un dialogue. Sous ce rapport, elle a eu par la suite dans la littérature de la piété de nombreux imitateurs.

Du reste, la spiritualité de cet ouvrage est essentiellement marquée par le souci de l'analyse intérieure et de l'introspection. La vie spirituelle y est envisagée d'abord comme une suite d'états de conscience qu'il s'agit de caractériser et d'analyser. Par là, l'Imitation prépare le psychologisme spirituel qui se fera jour au xvie siècle. Elle accorde à la succession de ces états intérieurs, et particulièrement à l'alternance des périodes de sécheresse et des consolations, une grande valeur significative. Sa judicieuse sûreté en ce domaine explique en partie son succès. Mais on saisit combien cette spiritualité se sépare par là du mysticisme métaphysique des Rhéno-Flamands, centré sur l'union à l'essence divine dans son unité.

L'Imitation a une vision assez sombre du monde extérieur au cloître, ce qui est peut-être un trait monastique. Mais c'est aussi de toute évidence l'esprit du xve siècle, rebuté par les complications de la scolastique finissante, qui transparaît dans l'anti-intellectualisme de cette œuvre, dans son mépris affiché pour les spéculations des théologiens, dans sa prédilection pour les âmes simples et sans culture. On sent bien qu'elle appartient à un temps où le divorce entre la piété et la science théologique est consommé.

— Louis COGNET

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Écrit par

  • : professeur à l'Institut catholique de Paris

Classification

Pour citer cet article

Louis COGNET. IMITATION DE JÉSUS-CHRIST [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DEVOTIO MODERNA

    • Écrit par Louis COGNET
    • 1 396 mots
    ...l'intérêt est relativement réduit. Le célèbre Thomas a Kempis (1380-1471) est le représentant le plus complet de l'école : il faut voir en lui l'auteur de l' Imitation de Jésus-Christ, œuvre composite, mais où sa personnalité s'est admirablement exprimée, surtout dans les livres II et III ; nombre de ses autres...
  • THOMAS A KEMPIS THOMAS HEMERKEN dit (1379 env.-1471)

    • Écrit par Jacques DUBOIS
    • 212 mots

    Né en 1379 ou 1380 à Kempen en Rhénanie (d'où lui vient son surnom « a Kempis »), Thomas Hemerken rejoint son frère Jean, en 1393, chez les Frères de la vie commune à Deventer, où il commence par suivre des cours de grammaire. En 1398, il est admis dans la communauté et, l'année suivante, suit son frère...

Voir aussi