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FREUDO-MARXISME

Un outil de critique sociale

Dans l'Europe de l'entre-deux-guerres, profondément plongée dans une remise en cause radicale de l'ordre social et culturel, le marxisme s'imposait comme l'outil théorico-politique de subversion privilégié. La domination de la pensée marxiste tient également à la facilité avec laquelle ses concepts peuvent être utilisés. Bien des analyses des freudo-marxistes, de Reich à Althusser, étonnent aujourd'hui par leur démarche quelque peu « plaquée » sur des réalités complexes.

En dehors des considérations historiques et sociales, les raisons du succès du freudo-marxisme tiennent également à une sorte de légitimité scientifique que la psychanalyse apportait au discours politique qui se voulait une critique radicale de la société. Il incarnait un idéal que ni la psychanalyse sur le plan psychologique et individuel, ni le marxisme sur le plan sociologique et collectif, pris isolément, n'étaient capables d'offrir. Le freudo-marxisme apparaissait d'autant plus séduisant qu'il répondait à une espérance, pour reprendre le mot choisi par Ernst Bloch (Le Principe Espérance, 1954-1959), à un idéal qui jalonne l'histoire depuis des siècles. Marxisme et psychanalyse légitimaient ainsi une critique radicale de la société au nom, croyait-on alors, de la science. Mais il lui a foncièrement manqué, malgré quelques rares exceptions, un contenu pragmatique.

La cohérence conceptuelle du freudo-marxisme imposait, en premier lieu, d'éradiquer la bête noire de la science marxiste, à savoir l'idéalisme : la psyché ou l'âme n'est pas une chose matérielle, mais reflète la nature matérielle, ou constitue l'une des propriétés de la matière. S'il fallait résumer le point essentiel justifiant la pertinence du rapprochement entre Freud et Marx, il résiderait dans le jeu dialectique entre la conscience et l'inconscient. Au marxisme qui privilégie la conscience comme le résultat de forces historiques, souvent « fausses apparences », la psychanalyse répond par son concept d'inconscient, instance psychique nourrie de refoulements relatifs au vécu du sujet et réceptacle des aliénations.

Si, dans la mouvance de Mai-68, un certain sursaut du freudo-marxisme est perceptible, en France par exemple avec l'audience considérable que rencontrent les écrits de Reich et de Marcuse, force est d'admettre que cette alliance, avec la mort des idéologies et l'effacement de la prégnance de la pensée marxiste, ne rencontre plus un grand écho de nos jours. Au-delà des raisons historiques, ce déclin marque un échec épistémologique certain de cette tentative.

— Jacquy CHEMOUNI

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Écrit par

  • : docteur en histoire, professeur de psychologie clinique et de psychopathologie, psychanalyste

Classification

Pour citer cet article

Jacquy CHEMOUNI. FREUDO-MARXISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Alfred Adler - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Alfred Adler

Marcuse - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Marcuse

Theodor Adorno, 1935 - crédits : I. Mayer-Gehrken/ T. W. Adorno Archiv, Frankfurt a.M.

Theodor Adorno, 1935

Autres références

  • CULPABILITÉ

    • Écrit par Charles BALADIER
    • 9 684 mots
    • 1 média
    ...lacanienne, il peut être instructif d'évoquer une des plus récentes tentatives pour expliquer l'angoisse de culpabilité par des facteurs exogènes, celle du freudo-marxisme. Pour Marcuse, par exemple, cette angoisse tient à la répression multiforme que les sociétés contemporaines font peser sur des instincts...
  • FREUD SIGMUND (1856-1939)

    • Écrit par Jacques LE RIDER, Marthe ROBERT
    • 16 152 mots
    • 3 médias
    De cette connexion fondamentale entre l'individuel et le social, la théorie psychanalytique a pu tirer des conséquences contradictoires : les premiers disciples « freudo-marxistes » (d'Otto Gross à Paul Federn, Siegfried Bernfeld, Otto Fenichel, Erich Fromm, Wilhelm Reich) ont compris que...
  • JOUISSANCE

    • Écrit par Raoul VANEIGEM
    • 1 412 mots

    En permettant que se rejoignent l'analyse de l'homme concret et l'analyse matérialiste du monde, le xxe siècle a réuni sous le terme de jouissance deux acceptions au premier abord très différentes : la satisfaction d'un désir sexuel et l'usage en propre d'un bien. La vogue d'une pensée...

  • MARCUSE HERBERT (1898-1979)

    • Écrit par Michel de CERTEAU
    • 2 747 mots
    • 1 média
    ...États-Unis, lui fournit à la fois une autre possibilité d'analyser le processus civilisateur comme processus répressif et, par un renversement de l'optique freudienne, la possibilité de trouver dans l'Éros, principe du plaisir, une force subversive capable de l'emporter sur le principe de réalité, Thanatos,...

Voir aussi