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KUPKA FRANTIŠEK (1871-1957)

Aux origines de l'abstraction

C'est le constat d'impuissance que dresse au même moment le peintre théoricien, dans les notes de La Création dans les arts plastiques : l'échec du réalisme vient aussi du mensonge que ce dernier instaure quant à la forme et à la nature réelles de la sensation. Fondé sur les données de l'optique physiologique et sur les apports de l'esthétique expérimentale, l'essai de Kupka contient une théorie de la perception comme vibration de la sensibilité kinesthésique, ébranlement d'un sens du mouvement impliqué dans la formation de tous les états de conscience : par conséquent, si l'artiste doit chercher à représenter quelque chose, c'est plutôt le fonctionnement mobile de la pensée et de la subjectivité. Selon la conception moniste de Kupka, le mouvement est la forme élémentaire commune de toutes les sensations – lumineuses, sonores, tactiles ou kinesthésiques. Il les décrit comme un agencement d'images motrices se modifiant dans le temps et douées d'une spatialité propre, et même d'une « topographie », avec ses « localités » entre lesquelles l'artiste établit des liaisons et se déplace en empruntant ces « voies praticables » que sont les lignes. Le titre et la structure de deux œuvres, Localisation de mobiles graphiques (1912-1913, la première au musée Thyssen-Bornemisza de Madrid), retiennent à l'évidence l'empreinte de cette conception spatio-dynamique de « l'idéation » – formation et extériorisation de l'idée.

En quelques années, de 1911 à 1913, les premières œuvres abstraites de Kupka mettent au point le vaste répertoire de morphocinèses, lignes courbes et cadences de lignes verticales, qu'il charge d'aller « incarner le rythme intérieur ». Amorpha, fugue à deux couleurs (1912, Národní Galerie, Prague) et Solo d'un trait brun (1912-1913, Národní Galerie, Prague) mobilisent la ligne mélodique de l'arabesque, « localisation dans l'espace des instants successifs du flux temporel », selon l'artiste, pour inscrire à la surface de l'œuvre cette pulsion du mouvement communiquée par la vibration musicale. C'est elle que restituent aussi, avec d'autres moyens, les rythmes rectilignes de la série des Plans verticaux (1912-1913), comme le confirme rétrospectivement l'apparition de ce motif dans le contexte d'une toile encore mi-abstraite, mi-figurative : Les Touches de piano. Le lac (1909, Národní Galerie, Prague).

Mais si le réalisme traditionnel doit être contrebattu, c'est aussi parce qu'il rompt avec la « mécanique vitale », la logique interne de la nature – quand Kupka demande au contraire au peintre de se donner les moyens de refléter « le drame de la constitution de la matière organisée ». L'œuvre véritable ne doit pas singer les apparences, mais suivre les lois intimes de l'organisation de la matière. Elle met en scène des genèses, des croissances, cosmiques ou naturelles, qui montrent que l'artiste peut « créer aussi logiquement que fait la nature », qu'il peut être « aussi rationnel que la volonté cosmique ». La question des origines, qui, au début du siècle, taraudait Kupka dans un petit groupe d'œuvres à tonalité symboliste (Les Nénuphars. Commencement de la vie, 1900-1903, Musée national d'art moderne-Centre Georges-Pompidou, Paris) trouve désormais à s'incarner dans le développement et la maturation de l'organisme pictural abstrait.

Le grand cycle organique de Kupka, qui débute avec des œuvres aux titres évocateurs, Formes irrégulières, création (1911) ou Printemps cosmique (1913-1914), se développe jusqu'après la guerre dans la série des Contes de pistils et d'étamines (1919-1920, Musée national d'art moderne-Centre Georges-Pompidou, Paris), dont les poussées[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Grenoble-II-Pierre-Mendès-France

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Pour citer cet article

Arnauld PIERRE. KUPKA FRANTIŠEK (1871-1957) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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