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SILLANPÄÄ FRANS EEMIL (1888-1964)

Une œuvre anti-intellectualiste

C'est cela que vient récompenser, en 1939, le prix Nobel, cela seul qui continuera d'animer une œuvre abondante dont un titre encore illustrera le propos central, le roman Beauté et misère de la vie humaine (Ihmiselon Ihanuus ja Kurjuus, 1945).

Un rêve de syncrétisme, ou plutôt d'unité, domine cette œuvre puissante : un effort constant pour atteindre les instants, privilégiés aux yeux de Sillanpää, où toutes contingences s'effacent, toutes misères disparaissent parce que le sentiment d'avoir retrouvé l'essentiel s'impose à l'évidence : « Alors il n'y a plus que l'être humain intérieur, l'être humain fondamental, qui veille, éprouve et comprend, l'éternellement immuable qui ne sait rien du chagrin ou de la joie, rien de la jeunesse ou de la vieillesse. » Pour ce faire, il lui faut comprendre qu'il est partie intégrante de la nature et lié à elle, que tout est dans tout, dépendance intime et irrécusable, qu'il est une nature plus vaste et plus généreuse que tous nos concepts et que c'est à travers elle qu'il faut voir l'homme, non l'inverse. Il n'importe que les personnages qui peuplent cet univers soient le plus souvent des simples, des inadaptés à la civilisation des villes, domestiques rassotés, paysans durs de tête mais le cœur et les sens grands ouverts. Leur force revient de leur communion intime avec la nature ; la seule vraie déchéance serait de s'y refuser. Il n'y a pas d'autre liberté humaine que de s'intégrer à ce grand tout, de s'y perdre.

Là est la véritable vie, maître mot de cet art qui trouve aussi le moyen de concilier un réalisme pointilleux avec un lyrisme à la fois pudique et dense. Sillanpää l'a avoué vers la fin de sa vie : « J'avais une répugnance profonde et énergique pour toute espèce de micmac commode [il veut parler des théories très intellectuelles de composition littéraire] et j'étais convaincu que même l'art narratif devait être fondé sur des lignes et des couleurs stables et authentiques. » Car les forces de vie qui font croître l'arbre, couler l'eau et se multiplier l'animal habitent aussi les reins de l'homme, les mêmes exactement : aussi n'a-t-il pas à s'interroger sur les buts qu'il poursuit, mais bien à manifester la présence agissante en lui de ces forces, par consentement et dynamisme. Le héros de Sillanpää est une force qui va, sans le savoir et sans chercher à savoir pourquoi. Mais toute joie lui vient de cette marche. Son pas s'accorde à l'orbe de la terre. On tendrait ainsi vers une sorte de panthéisme : l'individu peut disparaître, la vie subsiste, et c'est la seule grâce. Et il faut faire droit au jugement de M. Bedel préfaçant la traduction de Silja : à la longue, cette exaltation ferme et tranquille de la vie élémentaire, avec les grossissements, les simplifications et la sereine constance qu'elle implique, finit par prendre les accents d'une épopée primitive, celle que hantent les grands principes constitutifs de notre monde.

Œuvre résolument anti-intellectualiste donc, encore qu'extrêmement attentive à ses effets, qui encourt certainement le reproche de primarité, mais qui oppose magnifiquement au désespoir et au nihilisme contemporains de violents effluves de semence, de sève et de sang. En vérité, œuvre vive.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. SILLANPÄÄ FRANS EEMIL (1888-1964) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • FINLANDE

    • Écrit par Régis BOYER, Maurice CARREZ, Universalis, Lucien MUSSET, Yvette VEYRET-MEKDJIAN
    • 22 464 mots
    • 14 médias
    ...d'expression finnoise, à part quelques échappées vers le réalisme socialiste, comme chez Toivo Pekkanen, restent marquées de cette empreinte, et, à ce titre, celles du Prix Nobel (en 1939) Frans Emil Sillanpää sont caractéristiques. L'auteur de Soleil et vie (1916), de Sainte Misère (1919) et surtout...

Voir aussi