Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PESSOA FERNANDO (1888-1935)

La vie est un songe

Rêver sa vie, à défaut de pouvoir vivre ses rêves : tel est le parti que prend Bernardo Soares. Petit employé perdu dans la foule anonyme, il domine pourtant le monde « de toute la hauteur majestueuse de ses rêves ». Dans son recueil de poèmes de jeunesse écrits en anglais, The Mad Fiddler, Pessoa affirmait que « seul le rêve est vrai ». Naufragé du réel, Soares veut bâtir sa demeure dans l'imaginaire. Il voyage abstraitement, sans sortir de sa chambre, comme Des Esseintes. Puisqu'il n'est pas possible d'atteindre le réel pour en exprimer la beauté, l'art consiste à exprimer la beauté de cette impossibilité même d'en exprimer la beauté.

Écrit dans une prose somptueuse, le Livre de l'intranquillité, révélé au public près d'un demi-siècle après sa mort, est sans doute l'ouvrage où Pessoa accomplit le plus parfaitement son projet paradoxal : vivre l'impossibilité de vivre. Mais le poète orthonyme, Pessoa « lui-même », à certains moments, est allé encore beaucoup plus loin dans le refus du monde visible. À la devise que Soares emprunte à Calderón, « la vie est un songe », répond, chez le Pessoa « occultiste », celle qui s'inspire de la foi gnostique : « il n'y a pas de mort ». La vie est une forme de mort. C'est ce que nous appelons la mort qui est la vraie vie absente. Passionné par l'alchimie et la magie, pratiquant lui-même l'astrologie, héritier de « la tradition secrète du christianisme », issue de la cabale juive et du spiritualisme néo-platonicien, qui affleure, au cours des siècles, dans l'ordre du Temple, la fraternité Rose-Croix ou la franc-maçonnerie, le poète « initié » décrit, dans Message et dans certains des poèmes lyriques du Cancioneiro, un univers dans lequel le mythe est la réalité absolue, l'échec la valeur suprême et l'absence l'attribut essentiel de Dieu. Il se voit lui-même sous l'apparence du « moine-chevalier » du Moyen Âge, appelé à poursuivre toute sa vie une quête sans objet, vers des plaines sans horizon.

— Robert BRECHON

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé des lettres, ancien directeur de l'Institut français de Lisbonne

Classification

Pour citer cet article

Robert BRECHON. PESSOA FERNANDO (1888-1935) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Fernando Pessoa - crédits :  Apic/ Getty Images

Fernando Pessoa

Autres références

  • MARLEAU DENIS (1954- )

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 1 304 mots
    • 1 média

    Né à Québec en 1954, directeur depuis 1982 de la Compagnie Ubu qu'il a fondée et avec laquelle il a créé vingt spectacles, Denis Marleau pratique aussi bien le montage de textes que l'adaptation d'écrits non théâtraux et la mise en scène d'œuvres dramatiques. Les montages sont réalisés surtout dans...

  • MESSAGE, Fernando Pessoa - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 852 mots
    • 1 média

    Message fut publié en 1934, un an avant la mort de son auteur, Fernando Pessoa (1888-1935). Le poète portugais avait peu publié avant cette date : l'œuvre multiple qui allait lui valoir une célébrité universelle ne vit le jour qu'après sa mort.

    À l'instar des Lusiades de Camões,...

  • PORTUGAL

    • Écrit par Roger BISMUT, Cristina CLIMACO, Michel DRAIN, Universalis, José-Augusto FRANÇA, Michel LABAN, Jorge MORAÏS-BARBOSA, Eduardo PRADO COELHO
    • 39 954 mots
    • 24 médias
    Le xxe siècle littéraire commence avec le mouvement qui se déclenche, vers 1915, à partir de la revue Orfeu, et auquel sont liés les noms de Fernando Pessoa, Mário de Sá Carneiro et Almada Negreiros. Orfeu constitue le moment le plus intensément révolutionnaire de la littérature portugaise...
  • TABUCCHI ANTONIO (1943-2012)

    • Écrit par Carina MEYER-BOSCHI
    • 1 681 mots
    • 1 média
    ...nouvelles révèle le talent d'un écrivain confirmé, qui excelle dans la forme du récit bref. La figure fantasmatique et omniprésente du poète Fernando Pessoa, dont Tabucchi a traduit et commenté une bonne partie de l'œuvre, confère à ces histoires, riches en références intertextuelles, un ton profondément...

Voir aussi