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PESSOA FERNANDO (1888-1935)

Fernando Pessoa - crédits :  Apic/ Getty Images

Fernando Pessoa

Né et mort à Lisbonne, mais élevé en Afrique du Sud, alors britannique, poète bilingue, à la fois cosmopolite et nationaliste, sentimental et cynique, rationaliste et mystique, classique et baroque, Fernando Pessoa éprouvait très fortement le sentiment de n'être personne, à moins d'être plusieurs. C'est autour de cette intuition que s'organise son œuvre. Incapable de gérer ses contradictions dans la vie, il en a fait la matière de ses livres. Prenant Shakespeare pour modèle, il définit son entreprise comme un drama em gente, « drame en personnes » ; il fait dialoguer entre eux les divers moi qui existent virtuellement en lui et leur donne une réalité fictive par l'écriture. Mais on peut aussi lire son œuvre comme une sorte d'épopée intellectuelle, qui décrit l'exploration non de terres lointaines, comme celle de Camões, mais de modes d'être inconnus.

Ce qui déconcerte ou fascine ses lecteurs, c'est l'existence en lui de tous ces auteurs « hétéronymes » dont il a écrit les œuvres et assumé les personnalités : le poète paysan Alberto Caeiro, le docteur Ricardo Reis, l'ingénieur Álvaro de Campos, l'employé de bureau Bernardo Soares et bien d'autres. L'auteur « orthonyme », Fernando Pessoa « lui-même » (c'est, paradoxalement, son vrai nom, qui signifie personne), joue sa partie dans ce concert, au même titre que les autres. Pessoa est donc à lui seul plus qu'une pléiade. Il est à la fois chacun des poètes qui la constituent et le poète total qui les contient tous. Mais cet éclatement de son être en plusieurs personnes distinctes ne serait qu'une curiosité clinique s'il ne s'agissait pas aussi d'un acte créateur, destiné à changer la vie.

L'échec et la gloire

Sa sensibilité avait été blessée dès l'enfance par la mort de son père, le remariage de sa mère et l'arrachement à son « village » natal, le quartier du Chiado, au centre de Lisbonne. Pessoa passe toutes ses années de formation, de sept à dix-sept ans, à Durban, où son beau-père est consul du Portugal et où il reçoit une formation entièrement anglaise. À son retour, il se fixe à Lisbonne, qu'il ne quittera plus, et décide de se consacrer à la littérature. Il devra se contenter, pour gagner sa vie, d'emplois subalternes dans plusieurs maisons de commerce.

Il fait ses débuts littéraires en 1912 dans la revue du mouvement de la Renaissance portugaise. Dans ces premières années de la République (proclamée en 1910), il partage l'exaltation messianique du poète Teixeira de Pascoaes. Il cherche sa voie du côté du symbolisme. La rencontre du jeune poète Mário de Sá-Carneiro, qui vit à Paris, l'oriente vers l'avant-garde. Le tournant de sa carrière se situe en 1914. L'apparition en lui des hétéronymes marque le début d'une période d'extraordinaire fièvre créatrice : il invente une philosophie, le « néo-paganisme », découvre la théosophie et l'occultisme, participe au mouvement futuriste, propose une nouvelle esthétique, fonde des écoles littéraires (« intersectionnisme », « sensationnisme »). En 1915, il crée, avec Sá-Carneiro et quelques autres amis, dont Almada Negreiros, une revue d'avant-garde, Orpheu, dont la brève existence inaugure le « modernisme » portugais.

Le suicide de Sá-Carneiro, en 1916, l'affecte très profondément. Désormais, sans cesser de participer à la vie littéraire, il vit de plus en plus à l'écart, sacrifiant tout à son œuvre, y compris le seul amour qu'on lui connaisse, celui de la jeune Ophelia Queiroz. En près de vingt ans de solitude, Pessoa écrit des milliers de pages, mais il n'aura publié de son vivant que trois plaquettes de vers anglais (dont deux sur des sujets érotiques) et, tout à la fin, un recueil épique et mystique, Mensagem[...]

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Écrit par

  • : agrégé des lettres, ancien directeur de l'Institut français de Lisbonne

Classification

Pour citer cet article

Robert BRECHON. PESSOA FERNANDO (1888-1935) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Fernando Pessoa - crédits :  Apic/ Getty Images

Fernando Pessoa

Autres références

  • MARLEAU DENIS (1954- )

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 1 304 mots
    • 1 média

    Né à Québec en 1954, directeur depuis 1982 de la Compagnie Ubu qu'il a fondée et avec laquelle il a créé vingt spectacles, Denis Marleau pratique aussi bien le montage de textes que l'adaptation d'écrits non théâtraux et la mise en scène d'œuvres dramatiques. Les montages sont réalisés surtout dans...

  • MESSAGE, Fernando Pessoa - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 852 mots
    • 1 média

    Message fut publié en 1934, un an avant la mort de son auteur, Fernando Pessoa (1888-1935). Le poète portugais avait peu publié avant cette date : l'œuvre multiple qui allait lui valoir une célébrité universelle ne vit le jour qu'après sa mort.

    À l'instar des Lusiades de Camões,...

  • PORTUGAL

    • Écrit par Roger BISMUT, Cristina CLIMACO, Michel DRAIN, Universalis, José-Augusto FRANÇA, Michel LABAN, Jorge MORAÏS-BARBOSA, Eduardo PRADO COELHO
    • 39 954 mots
    • 24 médias
    Le xxe siècle littéraire commence avec le mouvement qui se déclenche, vers 1915, à partir de la revue Orfeu, et auquel sont liés les noms de Fernando Pessoa, Mário de Sá Carneiro et Almada Negreiros. Orfeu constitue le moment le plus intensément révolutionnaire de la littérature portugaise...
  • TABUCCHI ANTONIO (1943-2012)

    • Écrit par Carina MEYER-BOSCHI
    • 1 681 mots
    • 1 média
    ...nouvelles révèle le talent d'un écrivain confirmé, qui excelle dans la forme du récit bref. La figure fantasmatique et omniprésente du poète Fernando Pessoa, dont Tabucchi a traduit et commenté une bonne partie de l'œuvre, confère à ces histoires, riches en références intertextuelles, un ton profondément...

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