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EXPLICATIONS PROXIMALES ET ULTIMES DES COMPORTEMENTS

Traditionnellement, les recherches en psychologie cognitive portent sur le « comment » des comportements : comment apprenons-nous ? comment parlons-nous ? La psychologie évolutionniste propose non seulement des explications – dites proximales – à ces questions mais, aussi et surtout, elle cherche à comprendre le « pourquoi » des comportements – des explications dites ultimes. Ces deux types d'explications ne sont pas opposées mais complémentaires.

Pour les psychologues évolutionnistes, le cerveau de l'Homme a été façonné, via la sélection naturelle, par la confrontation à des problèmes récurrents rencontrés par nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, à savoir  trouver de la nourriture et de l'eau potable, se protéger des prédateurs, séduire un partenaire... Ces problèmes étaient fréquents pendant la majeure partie de notre histoire évolutive, lorsque nous étions des chasseurs-cueilleurs, sur une période commençant il y a 2,4 millions d’années (apparition des premiers hommes – genre Homo) pour se terminer avec les débuts de l’agriculture et de la sédentarisation, il y a environ dix mille ans. Le cerveau comporte ainsi des « adaptations » qui correspondent à des mécanismes spécialisés ayant permis à nos ancêtres de réagir sélectivement à des stimuli favorables à la survie et(ou) à la reproduction ou, au contraire, à ceux risquant de les menacer. Ces mécanismes s'activent en présence de certains stimuli liés à notre environnement et ils sous-tendent nos comportements dans le contexte de nos vies contemporaines. On parle ainsi de décalage (mismatch en anglais) lorsque des comportements qui étaient adaptés dans un environnement passé se révèlent inappropriés dans un environnement actuel.

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À titre d’exemple, les serpents ont été une menace récurrente pendant des millions d'années pour les Primates, ordre auquel l’Homme appartient. Nous sommes en conséquence équipés d'adaptations qui nous permettent de détecter rapidement leur présence et d’en avoir peur, plus vite par exemple que pour ce qui concerne les fleurs ou les chenilles, comme l'ont révélé des recherches chez des adultes et des enfants. En conséquence, dans notre vie quotidienne, notre attention est rapidement attirée par la présence de serpents, et nous en avons toujours peur, alors qu'ils sont moins dangereux que les prises électriques !

La pornographie constitue un autre exemple de décalage. L’excitation sexuelle provoquée par la vue de corps nus a conduit nos ancêtres à avoir des relations sexuelles et à se reproduire ; ceux qui n'étaient pas excités par la nudité ne se sont sans doute pas reproduits et ne font donc pas partie de nos ancêtres. De nos jours, l'excitation sexuelle peut encore être provoquée par des corps nus, mais également par des photographies ou des vidéos, c'est-à-dire par des stimuli qui n'existaient pas dans le passé ! Ces stimuli sont analogues aux stimuli originaux : ils sont capables de provoquer les mêmes types de réactions, voire de les amplifier, mais désormais sans but reproductif.

Dans le domaine de la mémoire, les psychologues évolutionnistes s'attachent aux explications ultimes et se demandent pourquoi nous mémorisons mieux certaines informations que d'autres. Plus généralement se pose la question des fonctions de la mémoire. Le psychologue américain James Nairne de l'université Purdue dans l’Indiana a développé la théorie de la mémoire adaptative, selon laquelle les capacités mnésiques des êtres humains ont évolué afin de retenir prioritairement les informations importantes pour la survie et(ou) la reproduction. Selon cette conception, l'architecture de notre mémoire, façonnée par la sélection naturelle, comporterait encore les traces des priorités de nos ancêtres telles que trouver de la nourriture, se protéger des prédateurs et des agents pathogènes. Ainsi a-t-il été montré que des adultes se souviennent mieux de mots évalués dans un contexte de survie, même s'ils ne sont pas reliés directement au thème de la survie et renvoient à des choses qui n'existaient pas dans le passé ancestral. Par exemple, le mot « camion » se trouve mieux mémorisé quand il est amorcé par la question « Est-ce utile si vous vous imaginez échoué sur les prairies d'une terre étrangère ? » que dans un contexte où la survie n'est pas pertinente, illustré par une question du type « Vous devez déménager dans un pays étranger, un camion vous sera-t-il utile ? » Les adultes mémorisent également mieux les objets ayant été touchés par des personnes qui présentent des signes de maladie que par des personnes en bonne santé. De façon générale, nous mémoriserions mieux les stimuli qui menacent notre survie (animaux dangereux, objets contaminés) que ceux qui sont non menaçants.

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Dans le domaine du langage, les recherches sont généralement focalisées sur l'identification des mécanismes qui sous-tendent la production ; mais qu'en est-il des explications ultimes ? Des études ont montré que certains choix linguistiques étaient pilotés par des considérations ultimes. Ainsi, lorsque des hommes tentent de séduire une femme en conversant avec elle, ils choisissent des mots plus rares. De la sorte, ils font preuve de créativité car il s'agit d'un trait généralement valorisé par les femmes. Des études ont aussi confirmé que les hommes avaient souvent recours à l'humour, qui traduit aussi une certaine créativité, pour séduire les femmes.

En s'intéressant aux explications ultimes des comportements, la psychologie évolutionniste stimule la curiosité scientifique comme en témoigne la forte augmentation des recherches réalisées dans cette perspective depuis les années 2000.

— Patrick BONIN

Bibliographie

P. Bonin, Tous descendants de chasseurs-cueilleurs! Nos cerveaux le savent...Études expérimentales de psychologie évolutionniste, Édilivre, Paris, 2017

L. Workman & W. Reader, Psychologie évolutionniste. Une introduction, De Boeck, Bruxelles, 2007.

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Écrit par

  • : professeur des Universités en psychologie cognitive, université de Bourgogne

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