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EUPHUISME

L'influence de l'euphuisme

On n'estimera jamais assez haut l'influence du style de Lyly. Ce ne fut pas seulement, pendant toute une période, le style de la Cour, bien qu'on doive se garder de négliger ce fait. Ce fut également un modèle pour tous les prosateurs qui suivirent Lyly, aussi bien ceux qui eurent tendance à l'imiter servilement, comme Greene, que ceux qui raillèrent les outrances de ce style, son caractère mécanique et monotone (son « tic-tac métronomique », pour reprendre l'expression de Feuillerat), et son abondance en comparaisons animales et végétales : Sidney, Nashe, et, par la suite, entre autres, Ben Jonson et Shakespeare ; si, aujourd'hui, Peines d'amour perdues (Love's Labour's Lost, 1595) n'est plus considéré comme une satire de l'euphuisme, une attitude critique de Shakespeare à l'égard de ce style transparaît dans la langue utilisée par de nombreux personnages plus ou moins ridicules – voir par exemple les conseils de Polonius à Laerte, dans Hamlet (acte I, sc. iii, 58-80) – et une satire directe apparaît dans Henry IV (I acte II, sc. iv, 438-461), où la comparaison de la jeunesse à la camomille, inspirée de Lyly, sert de point de départ à un passage parodiant le style euphuistique. La parodie et la satire de l'euphuisme impliquent la conscience que ce style devait être dépassé, mais elles ne signifient pas qu'il était condamné dans tous ses aspects. Au contraire, le refus des éléments artificiels de l'euphuisme est allé de pair, chez les auteurs élisabéthains, avec la prise en compte des qualités de ce style ; car, malgré tous ses excès, la prose de Lyly donnait pour la première fois l'exemple d'une « architecture » (R. W. Bond), d'un ensemble de phrases et de paragraphes structurés, qui baignait le sens d'une clarté qu'il n'avait pas chez les contemporains de Lyly, clarté qui provenait aussi de la netteté et du naturel du vocabulaire. Les prosateurs de la Renaissance ont été les élèves de Lyly, même lorsqu'ils se sont moqués des leçons de leur maître. Et l'exigence d'attention à la forme, principal enseignement de l'euphuisme, a été transmise bien au-delà de cette période, comme un legs anonyme.

Le plus grand mérite de ce maniérisme que fut l'euphuisme est donc, paradoxalement, d'avoir contribué, comme la prose de Shakespeare et celle de la Bible de 1611, quoique, certes, à un moindre degré qu'elles, mais avant elles, à la formation d'une langue anglaise moderne, claire et expressive.

— Georges GRANJOUX

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Pour citer cet article

Georges GRANJOUX. EUPHUISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par , , , , , et
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...fin du siècle, une foule de traductions acheva de mettre l'Angleterre au diapason de la Renaissance. Cette hâtive assimilation aboutit au phénomène de l' euphuisme, ainsi nommé d'après le titre d'un roman de John Lyly (1554 env.-1606), Euphues ou l'Anatomie de l'esprit (Euphues or...
  • LODGE THOMAS (1557-1625)

    • Écrit par
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