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ABSALON ESHER MEIR dit (1964-1993)

L'artiste Esher Meir, dit Absalon, est né en 1964 à Ashdod en Israël. Il est mort à Paris en 1993. Sa carrière fulgurante aura duré à peine six années. Très vite connu et reconnu, il a produit une œuvre homogène et d'emblée identifiable, à la fois représentative de l'art au tournant des années 1980 et 1990, et très singulière, dont la forme essentielle touche à l'habitat. Ni architecte, ni designer, mais artiste dans la dimension formelle et prospective qu'il convient d'associer à ce mot, il est l'auteur de pièces que l'on appréciera aussi pour leur dimension anthropologique.

Les premiers objets qu'Absalon confectionne sont en carton, ficelle et terre, vaguement primitivistes. En 1988-1989, il fréquente l'Institut des hautes études en arts plastiques fondé par Pontus Hulten à Paris, et y rencontre notamment les artistes Fabrice Hybert et Didier Marcel, ainsi qu'Andrée Magnin. Auparavant, en 1987, alors qu'il suivait les cours de Christian Boltanski à l'École nationale supérieure des beaux-arts, il avait conçu de petits coffres et des autels portatifs en bois peint, inspirés du mobilier égyptien. Dès cette époque, sa position et son vocabulaire sont fixés. « Mon travail consiste à ranger des objets et à leur donner les formes idéales pour que ceci soit possible », déclare-t-il en 1990. Il dit encore : « Je suis libre de donner aux choses la fonction que je décide. » Ainsi Absalon fabrique-t-il ses objets usuels et mobiliers du quotidien en bois ou en carton, tous à la même échelle, créant des sortes de miniatures qu'il homogénéise en les recouvrant de peinture blanche ou de plâtre. Il les dispose ensuite soit sur un plateau, soit sur des étagères, ou dans des boîtes. Il intitule ces assemblages Propositions d'habitation, Propositions d'objets quotidiens, Disposition, Prototypes, Cellules, un même titre pouvant servir pour désigner des réalisations différentes. Une seule fois il utilisera le ready-made, c'est-à-dire des objets existants qu'il installe et qu'il range dans l'espace d'exposition (à la Villa Arson à Nice, en 1989). Les formes dont il use sont immémoriales et c'est tout naturellement que ses références vont des premiers tombeaux chrétiens de la Méditerranée orientale jusqu'aux épures des architectes modernistes, dont Le Corbusier ou Hassan Fathy, ainsi que des sculpteurs minimalistes.

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C'est une dimension cosmogonique qui pointe dans les premières œuvres d'Absalon, un souci de mise à plat avant inventaire, une remise en ordre non fonctionnelle de la confusion du monde. En cela, il reprend le projet de Georges Perec : inventorier ce qu'il reste du monde après les cataclysmes du xxe siècle, rassembler les bribes sur quoi peut encore se fonder l'expérience humaine. En cela, il rejoint les préoccupations de certains artistes de sa génération, comme Jean-Jacques Rullier, Patrick van Caeckenbergh, Marie-Ange Guilleminot, Claude Closky ou Mark Dion, dans le sillage de Boltanski.

Dans les œuvres de cette première période, c'est d'utopie qu'il s'agit, au sens littéral de lieu qui n'existe pas, d'un espace idéal, absolu, purement conceptuel, n'était son étonnante présence physique et visuelle. La fascination qu'éprouve l'artiste pour les formes prospectives de Boullée ou Ledoux, par exemple, se retrouvera dans les projets ultimes d'Absalon, et en particulier dans les sphères blanches destinées à une exposition à la fondation De Appel à Amsterdam, en 1994. Elle se lit également dans les Cellules (1992), qui constituent sans doute la part la plus connue de son travail. Au début de l'année 1993, à l'A.R.C.-musée d'Art moderne de la Ville de Paris, il expose six Cellules blanches, en bois peint, toutes différentes mais qui, toutes, répondent aux mêmes exigences : permettre que leur occupant satisfasse aux fonctions essentielles (se nourrir, se laver, travailler, se reposer), et constituer un espace physique et mental modeste et paisible. Les six prototypes forment un ensemble dont chaque exemplaire est destiné à être construit et placé, à l'extérieur, dans six grandes villes (Paris, Francfort, New York, Tel-Aviv, Zurich – la dernière, sans assignation précise, aurait donc pu être déplacée), où l'artiste, au gré de ses déplacements, pourra les habiter. En parfaite cohérence avec ses réalisations précédentes, les Cellules introduisent cependant un nouvel élément dans le projet d'Absalon, qui est celui de l'expérimentation concrète, de la mise à l'épreuve du corps et de sa confrontation avec la réalité urbaine.

Les Cellules sont indissociables d'un autre aspect de l'œuvre d'Absalon : ses vidéos. L'une d'elles s'intitule précisément Proposition d'habitation (1991), et montre un homme, de blanc vêtu, qui soumet son corps à l'expérience des volumes et des espaces d'un lieu qui n'est pourrait constituer un prototype de « machine à habiter ». L'artiste prolonge l'expérience dans Solution (1992), par la représentation de gestes quotidiens. Car la relation du corps à l'espace n'est pas forcément de tout repos, et c'est sans doute cette violence sous-jacente qui confère leur tension aux constructions apparemment sereines d'Absalon, et s'affirme très clairement dans Bataille et Bruit (datées toutes deux de 1993). Dans la première, l'artiste est filmé en train de se battre contre le vide, debout, parfois un genou à terre, jouant des bras et des poings, comme patinant sur le sol. Dans Bruit, il crie. C'est un cri d'effroi et de révolte, c'est aussi la quintessence du cri, comme l'homme seul peut en produire un.Ce cri résonne en contrepoint du silence blanc des Cellules, leur imprimant une étrange vibration.

— Jean-Marc HUITOREL

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