Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BLOCH ERNST (1885-1977)

Ernst Bloch - crédits : Fred Stein Archive/ Archive Photos/ Getty Images

Ernst Bloch

En rupture avec les formes sclérosées du marxisme, l'œuvre d'Ernst Bloch tente de jeter un pont entre la théorie de l'émancipation prolétarienne et l'imaginaire qui soutient sa pratique. Le sentiment de révolte allié au principe d'espérance forme le ferment d'une « utopie concrète » où s'esquisse la reconquête de l'homme par lui-même.

Né à Ludwigshafen, Bloch entreprend des études classiques et se passionne pour la physique, la musique et la philosophie. Il abandonne l'enseignement pour se consacrer à la littérature et à l'essai, rencontre Lukács et écrit L'Esprit de l'utopie, qui paraîtra en 1918. Ses convictions pacifistes l'incitent, pendant la Première Guerre mondiale, à chercher refuge en Suisse, où il fait la connaissance de Walter Benjamin et accueille avec enthousiasme la révolution bolchevique. En 1921, son Thomas Münzer montre que le millénarisme préfigure les mouvements modernes de libération sociale. La montée du nazisme l'exile à Zurich. Il y publie Héritage de ce temps (1935). De 1938 à 1948, il séjourne aux États-Unis, dont il gardera un mauvais souvenir. Sujet-Objet, éclaircissement sur Hegel paraît en 1949, suivi par un développement de sa conception de l'utopie : Le Principe Espérance (3 vol., 1954-1959) et Droit naturel et dignité humaine (1961). Professeur à Leipzig, Bloch, dont les idées sont suspectes à l'orthodoxie marxiste, est mis à la retraite en 1956. Surpris à l'Ouest pendant la construction du mur de Berlin, il décide de s'y installer et enseigne à Tübingen. Il publiera en 1968 L'Athéisme dans le christianisme et, en 1975, Experimentum mundi. Il meurt à Stuttgart en 1977.

Écrit pendant les années de guerre, L'Esprit de l'utopie apparaît comme une protestation de la vie dans des circonstances dominées par des sentiments auxquels Bloch refuse le statut ontologique : l'angoisse, la souffrance, la peur de la mort. Selon lui, la peur n'est pas une expression de l'être en soi, mais la conscience d'une impasse où l'humain se prend au piège d'une histoire qui le déshumanise. La réaction de défense réside dans le principe d'utopie, moteur d'une émancipation subjective dont les effets se propagent collectivement : « Je suis, nous sommes. Il n'en faut pas davantage. À nous de commencer. C'est entre nos mains qu'est la vie. Il y a beau temps qu'elle s'est vidée de tout contenu. Absurde, elle titube de-ce, de-là, mais nous tenons bon et ainsi nous voulons devenir son poing et incarner ses buts. » L'esprit d'utopie est la vraie racine de toute espérance révolutionnaire, telle est la thèse illustrée par l'étude sur Thomas Münzer et sur le millénarisme, version sacralisée d'une aspiration permanente au mieux-être : « Ma conception de l'utopie est concrète, précise Bloch, c'est-à-dire liée à la possibilité objective présente dans la réalité. » Et il ajoute : « L'utopie n'est pas fuite dans l'irréel ; elle est l'exploration des possibilités objectives du réel et combat pour leur concrétisation. »

« L'inquiétante étrangeté du fascisme » inspire à l'auteur d'Héritage de ce temps le concept de « non-contemporanéité ». L'analyse part de réalités quotidiennes pour cerner les « mythologies très anciennes qui, avec leurs moutures les plus récentes, viennent à l'aide de l'ignorance ». Bloch souligne que tous les éléments d'une époque ne sont pas « présents dans le même temps présent [...]. Des temps plus anciens que ceux d'aujourd'hui continuent à vivre dans les couches plus anciennes. » Par une méthode de montage, qui rassemble des composantes apparemment disparates et rapprochées par le chaos social contemporain, il met en évidence le travestissement des archaïsmes en modernité[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Raoul VANEIGEM. BLOCH ERNST (1885-1977) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Ernst Bloch - crédits : Fred Stein Archive/ Archive Photos/ Getty Images

Ernst Bloch

Autres références

  • ESSAI, genre littéraire

    • Écrit par Jean-Yves POUILLOUX
    • 694 mots
    • 1 média

    Le terme d'« essai » implique une part sans doute trop grande faite à la liberté, pour que puissent se soumettre à un même titre des écrits dont la caractéristique commune est l'hétérogénéité. Or, on désigne ainsi un certain nombre de textes en prose, aux formes diverses, mais comme soumis à une...

  • ESTHÉTIQUE - L'expérience esthétique

    • Écrit par Daniel CHARLES
    • 5 083 mots
    • 2 médias
    ...recourant à une praxis bien précise, celle de « la première chaîne de montage » qui s'amorce avec la division du travail temporel entre les Parques. Comment ne pas songer ici à ce penseur de la praxis qu'était Ernst Bloch, et à sa théorie du montage ? Dans l'avant-propos (rédigé à Locarno en...
  • IMAGINATION (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 792 mots
    ...atteindre ? Dans l’histoire, ceux qu’on a souvent qualifiés un peu péjorativement d’utopistes ont mis en mouvement les sociétés. Le philosophe politique Ernst Bloch (1885-1977) s’est fait leur avocat dans son livre Le Principe espérance : l’utopiste « voit simplement plus loin que son environnement...
  • LUKÁCS GYÖRGY (1885-1971)

    • Écrit par Lucien GOLDMANN
    • 3 541 mots
    • 4 médias
    ...néanmoins assez radicale, s'était développée, dès ses premières publications, entre Lukács et un autre penseur, qui deviendra assez connu par la suite, Ernst Bloch, sur le statut de l'idéologie. Lukács a toujours maintenu, à travers les différentes étapes de sa pensée, la valorisation classique de...

Voir aussi