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KIENHOLZ EDWARD (1927-1994)

Né à Fairfield, dans l'État de Washington, dans une famille de fermiers, Ed Kienholz s'est installé à Los Angeles en 1953. Avant de se consacrer à l'art, il avait mené la vie vagabonde des personnages de Steinbeck ou de Faulkner, exerçant les métiers les plus divers. Ses premiers reliefs peints de 1954 portent les traces de cette vie errante : objets trouvés, ferrailles, matériaux de récupération, qui, loin de l'esthétisme de la peinture expressionniste abstraite de New York, annoncent ce qui fera la légitimité du pop art, du nouveau réalisme et des Objecteurs : la recherche d'un paradis, d'une autre beauté, dans un univers de déchets et de nouvelles ruines. Mais, jusqu'en 1957-1958, ces reliefs sont encore retenus par l'exigence commune de l'abstraction et du décor. Kienholz s'en éloigne en exposant à la Ferrus Gallery George Washington devant sa charrue en 1957, puis L'Incident de Little Eagle Rock en 1958, où pour la première fois les problèmes inhérents à l'histoire de la civilisation américaine sont pris à bras-le-corps : le racisme, l'aventurisme anarchique des fils de conquérants de l'Ouest. Pour cela, il fait sortir les images et le dessin de leur cadre et de leur planéité : les armatures en bois de L'Exposition médicale de 1959 sont pivotantes, Kienholz réussit à donner à l'œuvre d'art la mobilité et comme le battement des objets de la vie quotidienne. En 1960, la page de l'abstraction est pour lui définitivement tournée : il construit désormais de véritables lieux, avec des personnages en trois dimensions. Le grand environnement Roxy's, de 1961, est une reconstitution d'un célèbre bordel de Las Vegas : Kienholz présente les figures des prostituées copiées d'après nature, leur mobilier et leurs objets familiers. Le spectateur peut y circuler librement, comme s'il en était le client fictif. Du même coup, il change le spectateur des œuvres d'art en acteur, et dépassant les combine-paintings de Rauschenberg, qui se situaient alors dans la brèche qui sépare l'art de la vie, il manipule en artiste la réalité tout entière, telle qu'elle est. S'il s'agit pourtant de « tableaux », comme il les appelle, non seulement ils s'incorporent à l'espace réel, mais surtout ils en bouleversent complètement les aspects : à Paris, de 1962 à 1965, les Objecteurs (Daniel Pommereulle, Tetsumi Kudo, Jean-Pierre Raynaud) défendront un point de vue semblable. Mais Kienholz y ajoute le sarcasme de la description, parfois à la limite de la caricature, qui implique une réflexion critique sur la société et la manière de vivre, dont la violence finira par lui inspirer ce « monument collectif ambulant » qu'est le War Memorial de 1968 : l'œuvre se lit comme un livre, de gauche à droite, en commençant par l'Oncle Sam de la Première Guerre mondiale, puis Kate Smith chantant « Dieu bénisse l'Amérique » et en s'achevant par les marines au mont Suribachi. La présentation du Siège arrière de la Dodge 38, où une scène érotique très précise était évoquée, avait entraîné en 1966 la fermeture de l'exposition Kienholz au Los Angeles County Museum of Art. Ce qui n'exclut pas des évocations plus étranges, comme cette chambre de rêve de 1964, avec deux mannequins aux têtes démesurément grossies : Tandis que des visions de prunes dansent dans leur tête. Une radio nasillarde faisait partie de cette reconstitution surréaliste de l'atmosphère d'une chambre de la middle class américaine pendant les années 1950. Lors de son Art Show de 1977, qui fut présenté à la Nationalgalerie de Berlin et, à Paris, au Centre Georges-Pompidou, Kienholz avait installé des haut-parleurs qui retransmettaient les commentaires incongrus d'un public imaginaire pour souligner le caractère[...]

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Pour citer cet article

Alain JOUFFROY. KIENHOLZ EDWARD (1927-1994) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ARCHÉOLOGIE (Archéologie et société) - Archéologie du temps présent

    • Écrit par Jean-Paul DEMOULE
    • 4 851 mots
    ...États-Unis ou en Allemagne par des mouvements artistiques identiques, avec, entre autres, Claes Oldenburg, Robert Rauschenberg, Joseph Beuys ou encore Edward Kienholz. Ce dernier, dont les installations réincorporaient déchets et objets usagés, déclarait explicitement en 1973 : « Je ne commence à comprendre...
  • NON-ART

    • Écrit par Gilbert LASCAULT
    • 4 039 mots
    ...l'extrême. Bernar Venet (galerie Templon, Paris, 1971) présente une série d'agrandissements photographiques d'un livre de grammaire dont il n'est pas l'auteur. Edward Kienholz a créé, de 1963 à 1967 (en même temps que ses « environnements » plus connus), des « concept tableaux ». Ces « concept tableaux » se présentent...
  • SCULPTURE CONTEMPORAINE

    • Écrit par Paul-Louis RINUY
    • 8 011 mots
    • 4 médias
    ...de 14 mètres, en 1976. Jouant, à l’inverse, sur un registre monumental ironiquement réduit à des dimensions modestes, le Portable WarMemorial (1968) d’Edward Kienholz (1927-1994) propose une réinterprétation au second degré des constructions monumentales pour les victimes des guerres, qui inscrit la...

Voir aussi