DÉCHETS
Les déchets, qu'ils soient d'origine domestique, agricole ou industrielle, constituent un des problèmes incontournables du xxie siècle. En effet, l'augmentation de la population mondiale et sa concentration dans les villes, ainsi que le développement d'équipements industriels et de biens de consommation génèrent des quantités astronomiques de résidus : en moyenne plus de 400 kilogrammes par habitant et par an dans les pays développés et parfois plus de 700 kilogrammes pour certains d'entre eux. Leur gestion rationnelle et leur réduction sont devenues indispensables pour préserver l'environnement et l'avenir des générations futures.
Désormais, une prise de conscience collective entraîne trois niveaux d'engagement plus ou moins décisifs dans les politiques et les actions nationales. D'abord, le déchet, considéré comme un « cadavre économique », a été voué à l'enfouissement en décharge, puis à la destruction par incinération. Face aux nuisances et aux dangers révélés de ces techniques, on a ensuite engagé, dans de nombreux pays, le tri sélectif créateur d'une valorisation partielle et générateur d'une réduction sensible des déchets résiduels toujours problématiques. Enfin émerge la nouvelle notion du « déchet richesse potentielle » dont des techniques novatrices permettent de valoriser l'énergie contenue et la « matière première secondaire » recyclée. Les pays scandinaves, l'Allemagne et le Canada ont été les premiers à mener ces actions : la part des déchets ultimes, « déchets de déchets » destinés à l'enfouissement, se réduit à moins de 10 p. 100, voire 5 p. 100, dans ces zones pionnières.
L'attitude écologique, sensible à la protection du cadre de vie et à l'utilisation économe des ressources naturelles, a modifié l'attitude générale des milieux économiques et professionnels. De nouveaux enjeux sont apparus : réduction des consommations (énergie, matériaux, fluides), prévention, maîtrise et traitement des rejets, recyclage (énergie, chaleur, eau, matière). Des exigences légales ont engendré un champ novateur ; des technologies, des équipements, des métiers, des activités correspondent à de nouvelles références de qualité labellisées. La raréfaction de certaines matières premières a stimulé les métiers de la récupération, du recyclage et d'une utilisation cyclée des ressources.
Les déchets au quotidien : ordures ménagères et rejets économiques
D'une façon commune et générale, le déchet est un bien dévalorisé, déconsidéré et rejeté par son propriétaire ; il est objet de discrédit, deux niveaux étant à distinguer dans le mépris et l'exclusion. Le premier niveau, le plus dépréciatif, signale la puanteur, l'impureté : c'est l'immondice (immundus en latin), le « non-propre » ; c'est l'axe de l'ordure, de la répulsion attachée au porc dévoreur opportun des « immondices » dans les rues des villes anciennes. Ce contenu péjoratif s'est, par la suite, consolidé dans le vocabulaire de l'insulte. L'autre niveau, plus abstrait, dérive en français du verbe déchoir : en 1283, on appelle deschié un bien dévalorisé. À ce sens premier du terme s'est ajouté celui de résidu inutilisable, de rejet agressif et polluant, de reste radioactif mortel...
En 1975, la première loi française relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux, qui a initié en France la politique de gestion des déchets, définit légalement la notion de déchet : « tout résidu d'un processus de fabrication, de transformation ou d'utilisation, toute substance, matériau, produit ou, plus généralement, tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l'abandon ».
Un mal ancien devenu insupportable
Le déchet suit donc l'homme comme l'ombre de sa présence : les ordures sont les traces de sa vie et les déchets techniques celles de ses activités. Les restes imputrescibles d'instruments résistants faits de roche, d'os, d'ivoire ou de corne – découverts avec les premiers ossements humains – sont les objets d'étude de l'archéologie préhistorique. Ils permettent de mieux connaître les sociétés humaines du passé et de retracer leur évolution.
Dans la campagne du temps jadis, on expulse et disperse ses rejets sans graves dommages pour le voisinage. À la ville, le rejet familial rejoint la rue : épluchures, humeurs et odeurs variées des vases de nuit, déjections animales, litières diverses, boues fétides du sol piétiné par les hommes et les bêtes. Une unanime répugnance est éprouvée pour cette commune gadoue. Au xvie siècle, en France, l'autorité urbaine impose à chaque habitant de balayer devant sa porte pour faciliter l'éloignement des boues qui fertilisent les cultures proches. Mais devant le refus de la population de s'exécuter, les pouvoirs royaux puis municipaux sont contraints d'organiser eux-mêmes des services d'enlèvement. À Paris, en 1883, la « boîte à ordures » du préfet Eugène Poubelle devient obligatoire dans chaque foyer, ce qui facilite la collecte et respecte le chiffonnage traditionnel. Cette collecte municipale des déchets ménagers ne sera mise en place dans les communes rurales françaises qu'en 1975. Les techniques et les moyens industriels se sont adaptés au volume et à la diversité des déchets ménagers actuels : matières organiques (cuisine, jardinage), papier, carton, bois, verre, métaux, plastiques (supports imprimés, emballages), produits chimiques (pesticides, herbicides, peintures, solvants, médicaments). À la gadoue fertile s'est substitué le déchet encombrant, imputrescible, polluant, caractéristique du mode de vie de l'abondance.
Par ailleurs, depuis le xixe siècle, le développement artisanal et industriel, qui n'a cessé de s'intensifier et de se diversifier, engendre des masses considérables de résidus diversifiés selon la nature de la matière traitée et le processus de la transformation. À chaque filière correspond son déchet : tourteau d'écrasement de la graine oléagineuse, mélasse de la distillation du jus sucré, boue de décantation, lie et vinasse de filtration des liquides fermentés. La distribution et le commerce ont aussi leurs refus : rebut de contrôle, refus de livraison, « déchet de route » occasionnel du transport, surplus de production, invendu de magasin, autant d'éléments de soldes et de liquidations. L'évolution de l'énergie motrice des activités illustre les risques croissants de pollution du milieu naturel et humain : fumiers et crottins malodorants de la traction animale ; fumées, cendres et mâchefers encombrants de l'ère de la vapeur ; gaz et particules toxiques des hydrocarbures, rayons et restes radioactifs de l'énergie nucléaire (cf. nucléaire). Le déchet signale l'emprise humaine et reflète ses technologies jusque dans l'espace sidéral, parcouru de résidus satellisés (cf. espace).
Le déchet est donc un mal ancien dont la fièvre moderne est devenue insupportable avec la concentration urbaine. La traditionnelle et facile habitude du rejet rural de tous ces déchets afflige, aujourd'hui, les banlieues de décharges répugnantes et dangereuses, notamment dans les pays en développement. En effet, l'entassement désordonné est devenu critique et le simple ensevelissement dans le milieu naturel, dépassé. La décharge, qui trouvait là une justification essentielle, est désormais condamnée. Sa suppression paraît cependant en contradiction avec l'expansion des rejets ; à la fois le développement de l'économie moderne, utilisatrice de biens d'équipement rapidement démodés et obsolètes, et l'urbanisation du mode de vie moderne, gaspilleur de biens domestiques, sont tous deux générateurs d'abondants déchets.
Un reflet du niveau de développement
Depuis 1972, la recherche universitaire consacre aux déchets une démarche spécifique : la rudologie (du latin rudus, décombres) ou étude scientifique des déchets. Des analyses précises de déchets ont révélé des sens cachés : les détritus des conteneurs d'entreprises signalent la nature et les moyens de la production, et ceux des poubelles les conditions de la vie quotidienne. Ils marquent des seuils significatifs de l'inégalité économique et sociale sur la planète :
– Le seuil du développement le plus avancé et du mode de vie le plus moderne, avec quelque 700 à 800 kg/hab./an de déchets, se trouve aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande, ainsi que dans de petits États prospères (Irlande, 900 kg/hab./an) ou certains micro-États (Hong Kong, 850 kg/hab./an ; Monaco, 1 100 kg/hab./an).
– Le seuil de 400 à 600 kg/hab./an de déchets correspond à des pays développés avec un niveau de ressources moindre et un mode de consommation resté partiellement traditionnel. C'est le cas de l'Europe de l'Ouest : de 500 à 600 kg/hab./an pour la Suisse, le Danemark, les Pays-Bas, la France, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Autriche ; de 400 à 500 kilogrammes pour la Suède, la Finlande, la Belgique et le Portugal, pays plus ou moins prospères ou rigoureux dans la prévention et le recyclage des rejets.
– Le seuil de 250 à 400 kg/hab./an signale des pays en cours de transformation économique et sociale mais encore très liés aux traditions locales et dépendant de leurs limites technologiques. C'est le cas de l'Europe de l'Est (République tchèque, Slovénie, Roumanie, Hongrie), de l'ex-U.R.S.S, du Brésil et de l'Algérie.
– Le seuil très bas de moins de 100 kg/hab./an correspond au double retard économique et social d'un sous-développement lourdement handicapé. Il concerne, avec des différences sensibles, la majeure partie des pays d'Afrique, du Moyen-Orient, de l'Asie continentale et de l'Amérique du Sud. Dans ces États, la collecte se limite souvent à quelques grandes villes et un chiffre national moyen y a, d'ailleurs, peu de sens réel.
Ce classement international, effectué à partir des statistiques des Nations unies, est fondé sur les résultats des collectes effectuées pour le compte des collectivités. Les chiffres expriment la production des déchets municipaux (municipal waste). Ils regroupent, d'une part, les déchets proprement domestiques (dits ménagers) et, d'autre part, les déchets « assimilés » de même nature qui subissent des traitements comparables. Les déchets assimilés comprennent les résidus des services communaux (administrations, établissements scolaires, services sociaux, sanitaires, sportifs, etc.), les déchets d'entretien (voirie, espaces publics verts et sportifs...) ainsi que ceux des services privés (administratifs, sociaux, sanitaires, mais à l'exception des déchets spéciaux), des commerces, de l'artisanat et des petites entreprises. Dans cette comparaison internationale, la France se situe dans la valeur moyenne de l'Europe occidentale, avec 560 kg/hab./an en 2004, soit un ratio de 1,5 kg par habitant par jour.
Un indicateur du mode de vie
Les collectivités locales connaissent avec précision la production des déchets spécifiquement ménagers. Regroupées au niveau national par des organismes compétents, comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (A.D.E.M.E.) pour la France, les valeurs obtenues reflètent à la fois l'évolution générale des comportements et leur grande diversité géographique.
En France, la production moyenne des ordures ménagères a augmenté de façon continue à partir de 1975, date de la première loi d'inventaire de la situation nationale. Elle s'est tout d'abord accélérée (notamment à partir de 1985, avec une progression annuelle de 5,7 p. 100), doublant presque en vingt ans, surtout à cause de la généralisation de la collecte rurale jusqu'alors très peu développée. À partir de 1996, la croissance de la production de déchets s'est réduite à 1,3 p. 100 par an, en raison de l'efficacité de nouvelles formes de prévention et de valorisation qui sensibilisent les consommateurs au tri sélectif et au recyclage. Depuis 2000, la courbe s'inverse et une baisse générale se dessine (tabl. 1).
De fortes différences locales sont observées selon les milieux de vie. Du cœur des grandes villes aux villages des campagnes isolées, la production moyenne de déchets varie du simple au double. Dans les grandes villes, on dépasse 600 voire 700 kg/hab./an de déchets ; dans les villes moyennes, on atteint 500 kg/hab./an et dans leur périphérie, 400 kg/hab./an. Les campagnes touchées par l'installation de néoruraux fournissent même plus de 300 kg/hab./an. Un chiffre inférieur correspond généralement à une désertification humaine mais aussi, parfois, indique les nouveaux comportements écologistes plus économes de leurs ordures en écho aux attitudes recommandées par les directives de l'Union européenne.
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Écrit par
- Jean GOUHIER : maître de conférences en géographie
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Voir aussi
- DÉCHARGE DE DÉCHETS
- INCINÉRATION DES DÉCHETS ET ORDURES
- ORDURES MÉNAGÈRES
- STOCKAGE
- RECYCLAGE DES DÉCHETS ET DES MATÉRIAUX
- CHIMIQUES SUBSTANCES, écotoxicologie
- COLLECTE DES ORDURES MÉNAGÈRES
- VALORISATION DES DÉCHETS
- DÉPOLLUTION
- NUISANCES
- ENFOUISSEMENT DES DÉCHETS
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- FRANCE, histoire, de 1974 à nos jours
- DÉCHETS RADIOACTIFS ou DÉCHETS NUCLÉAIRES