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CHÔMAGE Le chômeur dans la société

La diversité des expériences vécues

C'est parmi les catégories sociales modestes que la norme du travail comme expression de l'honneur personnel s'impose de la manière la plus directe : l'estime que les individus ont d'eux-mêmes est fondée sur le travail. La crise d'identité et de statut tient à l'identification de l'honneur au travail et à une perception dichotomique du monde social, qui oppose les travailleurs aux fainéants sans honneur et sans dignité. L'humiliation est renouvelée et aggravée à l'occasion de chacun des échecs dans la recherche d'un emploi ou lorsque le chômeur doit se soumettre aux inévitables démarches administratives. Elle contribue à la désorganisation du rythme quotidien : c'était le travail qui définissait a contrario le temps libre et lui donnait son véritable sens. Le temps du chômage n'est pas disponible pour les activités légitimes du loisir (promenades, lectures, télévision) et de la retraite (jardinage, bricolage), c'est un temps vide qui nourrit et entretient le sentiment de l'ennui. Cet ennui est d'autant plus profond qu'un niveau culturel faible interdit de se consacrer à des activités sportives ou culturelles, de comprendre et d'analyser sa situation, qu'une faible insertion sociale rend difficile de compenser, au moins au début du chômage et provisoirement, l'inactivité professionnelle par la sociabilité. Cette compensation ne pourrait d'ailleurs être que provisoire, car l'humiliation et les difficultés financières limitent rapidement toute sociabilité. Dans les milieux sociaux où les conditions de travail, le niveau culturel et le système de valeurs privilégiant l'activité manuelle et pratique limitent les échanges verbaux, l'essentiel de la sociabilité s'exprimait à travers les liens de camaraderie qui s'établissaient à l'occasion et à la suite du travail en commun. Le lieu du travail était aussi un centre d'échanges, un milieu social. Cette forme de sociabilité disparue, la majorité vit le chômage en solitaire.

Alors qu'en 1932 les femmes privées d'emploi ne considéraient pas qu'elles étaient au chômage et se déclaraient « non payées mais pas chômeuses », elles connaissent aujourd'hui la même épreuve que les hommes. Les chômeuses, qui avaient intériorisé le statut de l'activité professionnelle, refusent l'identification au seul rôle de ménagère, dont l'activité est peu qualifiée et conduit à une solitude qu'elles jugent dramatique. Ce n'est pas un hasard si, dans tous les entretiens avec des chômeuses, l'expression « entre mes quatre murs » revient de manière lancinante : elle symbolise l'impression de solitude et d'emprisonnement que ressent la chômeuse qui a vu disparaître les échanges sociaux entretenus par l'activité professionnelle. Dans bien des cas s'ajoutent, pour les femmes seules, des conditions économiques difficiles ou dramatiques. Seules certaines jeunes femmes mariées de niveau modeste peuvent légitimer pour un temps leur non-travail au nom des charges et des joies de la maternité. L'expérience que font les femmes à l'occasion de leur chômage montre que la norme du travail et de l'emploi comme source privilégiée du statut social s'impose désormais également aux deux sexes.

Les cadres, eux, s'efforcent de lutter contre la déprofessionnalisation et la désocialisation spécifiques du chômage qu'on peut appeler « total ». Ils adoptent des activités de substitution en recherchant, de manière systématique et professionnelle, un nouvel emploi, en « profitant » de la période de chômage pour acquérir une formation complémentaire et augmenter leurs chances de se retrouver sur le marché du travail. Cherchant à se différencier des[...]

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  • : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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