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ORFF CARL (1895-1982)

Carl Orff se présente comme l'une des figures les plus originales de la musique du xxe siècle : autodidacte en marge de son temps, il a connu, avec Carmina burana, l'un des plus grands succès remportés par un compositeur de son vivant.

Né à Munich le 10 juillet 1895, il étudie très tôt le piano, l'orgue et le violoncelle. Il commence à composer, tout en effectuant ses études secondaires. À l'Akademie der Tonkunst de sa ville natale, il est l'élève de Anton Beer-Walbrunn et de Paul Zilcher. Puis il dirige les Münchner Kammerspiele (1915-1917), est mobilisé de 1917 à 1918, puis engagé comme chef d'orchestre aux théâtres de Mannheim et de Darmstadt (1918-1919). À partir de 1920, il commence à enseigner la musique tout en suivant les cours de composition de Heinrich Kaminski (1921-1922). L'année 1924 marque une étape essentielle dans sa carrière : il fonde, avec Dorothee Günther, l'École de gymnastique, de musique et de danse de Munich. De son enseignement naîtra le Schulwerk (1930), méthode pédagogique de la musique, entièrement nouvelle, qui fera le tour du monde. À la même époque, il s'intéresse à la musique ancienne et arrange plusieurs ouvrages de Claudio Monteverdi. De 1930 à 1933, il prend la direction de la Société Bach de Munich.

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Le succès de Carmina burana, en 1937, l'incite à détruire la plupart de ses œuvres antérieures. Il choisit une écriture simple, essentiellement orientée vers le théâtre. De la tragédie grecque au conte de fées, du mystère médiéval à la comédie populaire bavaroise, tous les aspects originels de la dramaturgie revivent dans sa production, animée par la volonté de mettre en œuvre un théâtre total. De 1950 à 1955, il enseigne la composition à la Hochschule für Musik de Munich, et consacre les dernières années de sa vie à la rédaction d'une autobiographie. Il meurt dans sa ville natale le 29 mars 1982.

À l'exception du Schulwerk et du triptyque d'après Monteverdi – Klage der Ariadne (sur le Lamento d'Ariane, 1925-1940), Orfeo (1923-1939), Tanz der Spröden (sur le Ballo delle Ingrate, 1925-1940) réunis en 1958 sous le titre général de Lamenti –, Carl Orff a détruit ou interdit ses autres œuvres antérieures à Carmina burana (1935-1936). Cette cantate scénique doit donc être considérée comme le point de départ de sa démarche esthétique, bien que l'on sache, par différents écrits, qu'il avait composé un premier opéra, Gisei (1913), marqué par l'influence de Claude Debussy. Par la suite, l'esthétique de Richard Strauss et celle d'Arnold Schönberg lui auraient servi de guide avant qu'il ne trouve sa voie véritable dans ses recherches pédagogiques et auprès des maîtres anciens. Carmina burana s'adapte aussi bien au concert qu'à la scène. Elle comporte une action mimée facultative. Le texte – en latin estudiantin du xiiie siècle – chante les louanges du vin, des femmes et de l'amour. Il repose sur un manuscrit de 1280 conservé au monastère de Beuron. Avec Catulli Carmina (d'après Catulle, 1942) et Le Triomphe d'Aphrodite (1950-1951), Carmina burana forme le triptyque des Trionfi, essentiel dans la production de Carl Orff. Il y reprend des procédés d'écriture anciens pour donner davantage de force à l'expression, toujours simple et directe. L'harmonie ne s'embarrasse d'aucune recherche, excluant la modulation. Orff fait revivre de vieilles monodies et les adapte au contexte du xxe siècle, grâce à un contrepoint dissonant et à une instrumentation colorée que domine une abondante percussion. Mais l'essentiel de son apport est constitué par le lien qui unit le texte à la musique : la mélodie épouse étroitement le rythme de la phrase ; elle se déroule dans un style incisif où la répétition et la variété rythmique jouent un rôle déterminant. La pluralité des langues utilisées (Catulli Carmina) accentue la force dramatique de l'ensemble.

Avec Der Mond (La Lune, d'après Grimm, 1937-1938) et Die Kluge (L'Épouse sage, 1941-1942), Orff aborde le domaine du conte de fées. À l'exubérance des Trionfi succède la fantaisie. Mais les moyens restent les mêmes, en marge de l'évolution esthétique du xxe siècle : Orff se tourne délibérément vers les sources de la dramaturgie européenne. Die Bernauerin (Agnès Bernauer, 1944-1945) et Astutuli (1945-1952) lui permettent d'aborder la comédie populaire bavaroise, mettant en musique la langue et les danses traditionnelles de son pays natal. Antigone (1947-1948), Œdipe le tyran (1957-1959) et Prométhée (1963-1967) constituent sa trilogie grecque antique, qui révèle le visage méditerranéen de Carl Orff, à la recherche d'une culture qu'il a découverte chez Monteverdi et abordée dans les Trionfi. La rupture avec l'opéra traditionnel est encore plus forte : la musique se simplifie à l'extrême et s'efface derrière le texte, qui devient une déclamation où la hauteur du son n'est plus exactement notée (Antigone), avant d'arriver à une récitation monocorde (Œdipe le tyran). Comoedia de Christi resurrectione (jeu pascal, 1955), Ludus de nato Infante mirificus (jeu de Noël, 1960) et De temporum fine comoedia (jeu pour la fin des temps, 1969-1979) renouent avec la tradition du mystère chrétien médiéval et complètent une approche dramatique originale en quête d'universalisme.

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Carl Orff a toujours refusé l'opéra traditionnel. Il lui préfère le théâtre musical où l'action dramatique et la musique sont étroitement liées, en dehors de toutes conventions. Seul ce retour aux formes originelles pouvait lui permettre de trouver un cadre crédible où s'impose cette langue forte et dépouillée : « Plus le message est simple et significatif, plus l'effet est direct et durable. » On doit aussi à Carl Orff plusieurs chœurs, sur des textes de Friedrich Schiller et de Bertolt Brecht, une cantate I veni Creator Spiritus (1930-1973), Entrata, une suite d'orchestre d'après Byrd (1940-1954) et Kleines Konzert pour orchestre sur des thèmes du xvie siècle (1927-1975). La simplicité est également à l'origine de ses découvertes pédagogiques. Ce que l'on connaît sous le nom de Méthode Orff est l'application des principes contenus dans le Schulwerk. Cette pédagogie repose sur les données physiologiques du son, le rythme et la percussion, éléments « susceptibles de faire naître l'émotion dans les zones vitales et spirituelles ». L'approche de la musique qui en résulte est excessivement simple ; elle met l'enfant en contact direct avec des instruments appropriés ou spécialement élaborés (flûtes à bec, métallophones, percussions diverses) qui lui permettent d'associer les sons concrets aux notions théoriques. Le succès de cette méthode a été considérable au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et elle s'est imposée, aux côtés de celle de Zoltán Kodály, comme l'une des approches essentielles de la pédagogie musicale dans la seconde moitié du xxe siècle.

— Alain PÂRIS

Bibliographie

H. Krellmann &J. Horton, « Carl Orff », in The New Grove Dictionary of Music and Musicians, Macmillan, Londres, 1980 / A. Liess, Carl Orff, Idee und Werk, Atlantis, Zurich, 1955 / R. Münster, Carl Orff, das Bühnenwerk, Munich, 1970 / K. H. Ruppel, G. R. Sellner &W. Thomas, Carl Orff, ein Bericht in Wort und Bild, Schott, Mayence, 1960. Carl Orff und sein Werk, Dokumentation (la plupart des textes sont d'Orff lui-même), 8 vol., Hans Schneider, Tutzing (Suisse).

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Écrit par

  • : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France

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