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VIOLA BILL (1951- )

La question de la temporalité

Les questions spatio-temporelles peuvent sans doute passer pour une évidence lorsque l'on travaille avec un médium tel que la vidéo ou que l'on réalise régulièrement des installations, mais ce serait s'en tenir là aux seules considérations technologiques et ne pas faire droit à ce qu'il faut bien appeler la dimension métaphysique de l'œuvre de Viola. Ne cachant nullement ses intérêts pour les pratiques spirituelles extrême-orientales, l'artiste n'en oublie pas pour autant ses engagements plastiques, et la culture américaine de la pratique, de l'expérience, de la relation au concret, au point de nous proposer des œuvres qui mettent à l'épreuve la répartition de ces approches. Ainsi, dans Heaven and Earth (1992, Museum of Contemporary Art San Diego), deux écrans nous montrent en parallèle un nourrisson de neuf mois (le deuxième enfant de Bill Viola) et la mère de l'artiste dans un lit d'hôpital, sous assistance respiratoire, en train d'agoniser. En réalité, la partie diffusée nous la montre au moment même où elle expire. Dans la version différente qu'il reprendra dans le Nantes Triptych (1992, Tate Gallery, Londres), l'œuvre, comprenant cette fois un personnage central en train de se noyer ou de ressortir de l'eau, était installée dans une chapelle du xviie siècle, soulignant par là que l'expérience de la mort est commune aux religions et aux sociétés. Quelles que soient ses connotations spirituelles ou matérialistes, la mort traverse tous les lieux et tous les temps. La réflexion de Bill Viola sur la temporalité s'accompagne d'une prise de conscience de la finitude humaine, dont nos existences quotidiennes comme les différentes religions auxquelles se réfère l'artiste peuvent témoigner.

Cependant, alors que les œuvres réalisées jusque dans les années 1990 maintiennent un équilibre entre nos expériences courantes et les actes de foi ou de croyance dont chacun se trouvait libre d'y adhérer, Viola développe dans ses œuvres une étonnante iconographie chrétienne de la souffrance, de la naissance et de la mort. « Iconographie » est bien le terme, puisque l'artiste cite directement des peintures ou des fresques de la tradition chrétienne occidentale, tel The Greeting (1995), dont une grande version fut présentée à l'église Saint-Eustache, à Paris, qui renvoie à la Visitation (1528) de Pontormo. La vidéo de Bill Viola montre au ralenti trois femmes, dont l'une, enceinte, vient à la rencontre d'une autre pour l'embrasser, rappelant la scène célèbre, racontée dans le texte de Luc, de la visite de Marie, future mère du Christ, à sa cousine Élisabeth, enceinte elle aussi, bien que plus âgée, et future mère de Jean-Baptiste. Dans une autre œuvre, Emergence (2002, J. Paul Getty Museum, Los Angeles), nous voyons deux femmes qui attendent autour de ce qui semble être un tombeau, et d'où jaillit ensuite un jeune homme livide qui n'est autre que le Christ et qu'elles sortent alors du tombeau ; il s'agit cette fois d'une citation de la Pietá (1424) de Masolino. D'autres œuvres de Viola mettent ainsi en scène certains récits du Nouveau Testament à partir d'œuvres anciennes, comme si l'artiste, plus proche en cela d'un récit cinématographique, voulait ajouter un effet de réel plus important à ces représentations traditionnelles. Par leur aspect emphatique, voire grandiloquent, ces sortes de peinture en mouvement sont plus proches d'une reconstitution historique, laissant souvent transparaître, involontairement, une imagerie chrétienne kitsch que l'on croyait révolue.

Avec d'autres séries concernant la représentation de visages souffrants (The Passions, 2000) ou d'une gestuelle des mains signifiant elles aussi la douleur ou le malaise ([...]

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Écrit par

  • : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Jacinto LAGEIRA. VIOLA BILL (1951- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CINÉMA ET OPÉRA

    • Écrit par Jean-Christophe FERRARI
    • 3 248 mots
    • 7 médias
    Le travail de Peter Sellars est davantage tourné vers la vidéo. Ainsi, dans son Tristan et Isolde (Opéra-Bastille, 2005), des images du vidéaste Bill Viola étaient projetées sur le fond de la scène transformé en immense écran. Les liens entre les films de Viola et l'opéra de Wagner étaient...
  • INSTALLATION, art

    • Écrit par Bénédicte RAMADE
    • 3 512 mots
    • 1 média
    Le principe d'immersion par la couleur peut être combiné comme chezBill Viola, avec des projections vidéos monumentales qui ont lieu dans l'obscurité. Les sens aiguisés par la pénombre, le spectateur se retrouve partagé entre cinq écrans dans l'installation Five Angels for the Millenium...
  • VIDÉO ART

    • Écrit par Rosalind KRAUSS, Jacinto LAGEIRA, Bénédicte RAMADE
    • 5 807 mots
    ...fascination pour les seules caractéristiques techniques de l’image n’est plus à l’ordre du jour. Avec certains des artistes de la nouvelle génération, notamment Bill Viola et Gary Hill, la vidéo a acquis son autonomie plastique et ses enjeux esthétiques sont désormais aussi cohérents que ceux des autres médias...

Voir aussi