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ANTISPÉCISME

Émergence du concept

Graffiti de l’Armée des douze singes - crédits : Polygram/ The Kobal Collection/ Picture Desk

Graffiti de l’Armée des douze singes

Hétérodoxe, ce courant critique était bien parvenu à influer marginalement sur la ligne politique de la R.S.P.C.A. (Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals, principale organisation anglaise de protection des animaux fondée en 1824). Mais il finit toutefois par s’essouffler graduellement à partir de la Première Guerre mondiale. S’il n’y a pas de solution de continuité entre ce courant et les développements qui aboutissent dans la seconde moitié du xxe siècle aux formulations de l’antispécisme, cette tradition radicale s’est toutefois perpétuée sur le long terme. Dans le contexte de crise traversé par le mouvement de protection animale au cours des années 1960 et 1970, la longévité exceptionnelle de certaines carrières militantes, en particulier celle de lady Muriel Dowding ou de Lizzy Lind af Hageby, ainsi que les efforts produits par l’écrivain et féministe Brigid Brophy (1929-1995) pour actualiser des positions défendues par des intellectuels tels que Shaw ou Salt ont favorisé la préservation de cet héritage. Durant la même période, on se donne à voir au sein des organisations zoophiles un afflux de militants souvent jeunes, d’origine urbaine, issus des classes populaires et d’une petite classe moyenne. Ce recrutement massif a contribué à l’intensification des tensions entre une base militante renouvelée – volontiers radicale et favorable au recours à l’action directe – et les états-majors de ces organisations, autrement plus modérés. Des scissions vont s’ensuivre et des collectifs vont se créer, développant des méthodes d’action novatrices telles que le sabotage de chasse (huntsab), l’organisation de happenings, la libération d’animaux d’élevage et de laboratoire ou encore la destruction matérielle de dispositifs d’exploitation. Des consensus s’instaurent progressivement au sein de ces groupements pour l’adoption du régime végétarien, et des liens se constituent avec les organisations de réforme alimentaire. Ils sont le signe d’un redéploiement et de nouvelles lignes de force au sein du mouvement animaliste britannique.

C’est dans ce contexte qu’apparaît la notion de spécisme, et son corollaire l’antispécisme. La paternité en revient à Richard Ryder, alors jeune psychologue clinicien officiant dans les laboratoires du Warneford Hospital de la ville d’Oxford. Il forge ces nouveaux mots, par référence aux mouvements féministes et antiracistes, lors de la publication en 1970 d’un tract de protestation contre l’expérimentation animale. Ryder rejoint alors un groupe informel dédié à la réflexion autour de la question animale ; composé à la fois de militants végétariens et de défenseurs des animaux, d’étudiants et de doctorants à l’université d’Oxford, par ailleurs souvent engagés dans les luttes égalitaires et les mouvements sociaux du moment. Ce petit cercle va rapidement mobiliser et contribuer à une première diffusion de ces termes, notamment par le biais de la publication, en 1971, d’un ouvrage collectif : Animals, Men and Morals. An inquiryinto the maltreatment of non-humans. Malgré une réception très limitée de leurs premières productions au Royaume-Uni, les agissements de ces militants, dont certains deviendront des figures influentes d’un mouvement animaliste renouvelé, contribuent effectivement à l’appropriation d’un label comme l’antispécisme par des groupes et acteurs radicaux engagés depuis les années 1960 dans la cause animale, ces ralliements successifs signifiant ainsi leur prise de distance, voire leur rupture, avec la modération réformiste du mouvement de protection des animaux. On ne peut toutefois comprendre la réception contemporaine de l’antispécisme sans tenir compte de sa diffusion vers les États-Unis.

L’édition américaine de 1973 deAnimals, Men and Morals, va inspirer ainsi les premières contributions de Peter[...]

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Écrit par

  • : docteur en science politique, chargé de recherche au Fonds de la recherche scientifique de Belgique

Classification

Pour citer cet article

Fabien CARRIÉ. ANTISPÉCISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Manifestation pour la défense du monde rural à Londres, le 22 septembre 2002 - crédits : Roger Tidman/ CORBIS/ Corbis Documentary/ Getty Images

Manifestation pour la défense du monde rural à Londres, le 22 septembre 2002

Graffiti de l’Armée des douze singes - crédits : Polygram/ The Kobal Collection/ Picture Desk

Graffiti de l’Armée des douze singes

Manifestation contre la corrida à Pampelune, juillet 2013 - crédits : Migel/ Shutterstock

Manifestation contre la corrida à Pampelune, juillet 2013

Autres références

  • SINGER PETER (1946- )

    • Écrit par Universalis
    • 1 482 mots
    ...cause la séparation radicale entre humains et animaux introduite par la philosophie occidentale, d’Aristote à Descartes en passant par Thomas d’Aquin. L’apport le plus important de l’ouvrage sur le plan philosophique réside ainsi dans son analyse pénétrante du concept de « spécisme » (qui ne fut pas inventé...
  • VÉGÉTARISME

    • Écrit par Laurence OSSIPOW
    • 5 162 mots
    ...qui se refusent à toute affirmation d'une différence d'ordre moral entre les espèces du vivant, qui entraînerait nécessairement leur hiérarchisation. Selon l'antispécisme, rien ne justifie que l'animal serve à l'être humain comme aliment, comme pourvoyeur de services ou comme support d'expérimentations....

Voir aussi