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ANTHROPOLOGIE DES CULTURES URBAINES

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L’empirisme français

La question des cultures urbaines n’a intéressé que très tardivement les sociologues et anthropologues français. La réception des travaux de l’école de Chicago fut lente, fragmentée et d’emblée polémique. Les interprétations en termes de culture urbaine cherchant à analyser la spécificité des modes de vie et des formes de socialisation en ville ont ainsi fait l’objet d’une forte critique de la part des sociologues marxistes dans les années 1960. Le sociologue Manuel Castells les assimila à une « idéologie de la modernité » (1972), considérant qu’elles confondaient des comportements générés par le capitalisme à une forme de vie proprement urbaine. « La culture urbaine n’est qu’un mythe », affirmait-il. De son côté, l’anthropologie française a longtemps été réticente aux investigations urbaines. Des recherches pionnières comme celle de Georges Balandier (1955) sur les « Brazzavilles noires » ne firent que peu d’émules et la question de la légitimité des terrains urbains n’a cessé de se poser dans ce champ disciplinaire jusqu’à la fin du xxe siècle (Michèle de La Pradelle, 2000). La première recherche ethnographique sur des bandes de jeunes en France est celle de Jean Monod (1968). Il est allé enquêter sur le terrain des blousons noirs parisiens pour vérifier l’hypothèse de Claude Lévi-Strauss (1961) selon laquelle l’uniformisation culturelle croissante de la planète allait de pair avec une différenciation interne des sociétés. Lévi-Strauss pensait que la diversité culturelle qui tendait à se réduire ‒ dans ce qu’il qualifiait de nouveau régime de « compénétration mutuelle » ‒ se reconstituerait sur d’autres plans. « Qui sait si les conflits de générations, que tant de pays vérifient en ce moment dans leur sein, ne sont pas la rançon qu’ils payent pour l’homogénéisation croissante de leur culture sociale et matérielle ? »

Cette ethnographie de la sociabilité des bandes de blousons noirs n’impulsa pas d’autres recherches. La question des cultures urbaines a été globalement évincée au profit d’une sociologie de la jeunesse et de la délinquance et d’une ethnologie des minorités ethnoculturelles en ville. Les premières équipes françaises d’ethnologie urbaine ne se sont structurées qu’au début des années 1980. Les traductions et commentaires de textes clés de l’école de Chicago par Isaac Joseph et Yves Grafmeyer (1984) permirent d’acclimater l’écologie urbaine à un public francophone et d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche sur les modes de coexistence et de sociabilités urbaines. En 1983, la traduction d’Explorer la ville d’Ulf Hannerz (1983) a doté ces nouveaux spécialistes de bases théoriques solides. Les enquêtes ethnographiques de Colette Pétonnet (1979, 1982) sur les bidonvilles et les cités de transit, celles de Gérard Althabe (1984) et de Claire Calogirou (1989) sur les grands ensembles furent les premières à saisir la vie sociale de ces espaces non seulement comme des symptômes de la désagrégation des milieux ouvriers mais aussi comme des manières de vivre dans la précarité et l’exclusion, des formes de régulation sociale ayant leur propre cohérence. Mais ce n’est qu’avec l’émergence du « problème des banlieues » dans les années 1990 que les recherches sur les bandes, les jeunes de la seconde génération et les sous-cultures juvéniles se sont développées.

Graffitis dans le quartier de Ménilmontant à Paris - crédits : Bertrand Gardel/ hemis.fr

Graffitis dans le quartier de Ménilmontant à Paris

Des enquêtes ont été menées sur l’émergence dans ces banlieues populaires d’une identité de lieu (Michel Kokoreff, 1994), les bricolages de l’ethnicité des enfants de l’immigration maghrébine (Ahmed Boubeker, 1997), le code d’honneur structurant la culture de rue des jeunes de ces quartiers (David Lepoutre, 1997) ou les dynamiques culturelles du hip-hop français (Virginie Milliot, 2006). De nombreuses thèses basées sur des[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en anthropologie, université de Paris-Nanterre

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Pour citer cet article

Virginie MILLIOT. ANTHROPOLOGIE DES CULTURES URBAINES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 25/03/2022

Médias

Quartier juif de New York dans les années 1930 - crédits : FPG/ Hulton Archive/ Getty Images

Quartier juif de New York dans les années 1930

Punks dans les rues de Londres au début des années 1980 - crédits : PYMCA/ Universal Images Group/ Getty Images

Punks dans les rues de Londres au début des années 1980

Graffitis dans le quartier de Ménilmontant à Paris - crédits : Bertrand Gardel/ hemis.fr

Graffitis dans le quartier de Ménilmontant à Paris