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BIÉLY ANDRÉI (1880-1934)

Les démons intérieurs

Des symbolistes, Biély était le plus assoiffé de mystère et de révélation. Il défendait une conception quasi théurgique du symbolisme, sorte de nouvelle religion qui complétait et englobait tout le savoir humain. Nul plus que lui ne voulut « changer la vie » par le truchement de l'art. Le symbole devait ouvrir vers les essences secrètes et nocturnes de l'être. Biély défendait sa religion avec la fureur d'un Savonarole. Il était moins polémiste que pourfendeur au nom de la cause. La religion dionysiaque de l'autre grand « théurge » symboliste, Viatcheslav Ivanov, était bien plus livresque et lénifiante. Biély était une sorte de croisé ridicule et souvent bafoué : autour de lui, de 1906 à 1911, ce ne sont que scandales, méprises, éclats. Il flirte avec le marxisme, il s'intéresse aux sectes obscures de la Russie, il rôde autour de la théosophie. Mais plus que les idées, ce sont les hantises qui font souffrir cet homme perpétuellement aux abois. On dirait qu'une inhibition l'empêche de connaître le bonheur. Enfin, en 1911, survient une sorte d'armistice intime avec ses propres obsessions : le destin le lie pour quelques années avec celle qui deviendra sa femme. Assia Tourguéniev, une grande jeune fille mystique, exaltée, énigmatique, en compagnie de qui il ira à la découverte d'abord de l'Égypte, puis de l'occultisme ; et ce sera une dévotion forcenée pour le fondateur de l'anthroposophie, le docteur Steiner. Cependant, les cruels destins de la Russie s'identifient pour Biély à ses propres tourments et dans un second grand recueil de vers, intitulé Cendre (1909), Biély confond, dans la même image du mendiant et du chemineau, sa propre souffrance de déraciné et les malheurs de la Russie après la révolte avortée de 1905. Là, Biély est simple, dénudé : il y a, dans Cendre, des poésies magnifiques. C'est encore « la face sombre » de la Russie que Biély nous décrit dans son premier véritable roman, Le Pigeon d'argent (1910) : sectes sauvages, crimes rituels, contamination de la violence, de la haine, de l'érotisme. Le thème de la clandestinité et du fantastique souterrain court d'une œuvre à l'autre de Biély. Avec Pétersbourg (1916), ce thème devient plus évident encore ; le phantasme intime de la persécution devient la réalité secrète de toute une époque. Délation, provocation, ambiguïté minent tout le terrain sous les granits impériaux de la ville. Le célèbre Azef, agent double de la police secrète et chef du groupe de combat du parti terroriste S.R., a servi de modèle à un des principaux personnages de Pétersbourg. Jamais des mythes personnels n'avaient si bien incarné toute une époque. Comme l'autocratie a peur des espaces immenses de la Russie, ainsi Biély est hanté par l'espace. Il rêve d'un espace second qui nie toute la variété de la nature, qui est mental comme les rêves. Au moment où Pétersbourg était publié, après bien des avatars, en Russie, Biély avait depuis longtemps fui et trouvé un repos transitoire dans une soumission monacale aux ordres du « Docteur », le fondateur de l'anthroposophie. En compagnie d'Assia Tourguéniev, Biély participa à la construction de la « nouvelle arche », le temple de Jean, à Dornach, au sud de Bâle. Loin des polémiques de Moscou, transfuge du siècle d'argent, il regardait sortir des troncs énormes les têtes sculptées symbolisant les signes du zodiaque, qui, bientôt, couronneraient les colonnes de l'énorme salle du temple...

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève

Classification

Pour citer cet article

Georges NIVAT. BIÉLY ANDRÉI (1880-1934) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • PÉTERSBOURG, Andréi Biély - Fiche de lecture

    • Écrit par Hélène HENRY
    • 1 211 mots

    1910 : Andréi Biély (1880-1934) a trente ans. Il a été intimement mêlé, dix années durant, à l'aventure du symbolisme russe. Ami d'Alexandre Blok, il a contribué à fonder une nouvelle conception de la littérature comme recherche spirituelle. Poète (Or sur azur, 1904), prosateur...

  • FORMALISME RUSSE

    • Écrit par Georges NIVAT
    • 3 400 mots
    • 1 média
    ...spirituelles ou métaphysiques, mais tenta aussi de cerner le mystère de la langue poétique, instrument d'accès aux symboles. Cette tentative prit avec Andréi Biély un aspect scientifique. Aux éditions du Musagète, un groupe de jeunes poètes, où figurait Boris Pasternak, se réunissait sous la direction...
  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Michel AUCOUTURIER, Marie-Christine AUTANT-MATHIEU, Hélène HENRY, Hélène MÉLAT, Georges NIVAT
    • 23 999 mots
    • 7 médias
    ...) était prosoviétique et publiait régulièrement des feuilletons du jeune médecin Boulgakov (qui les envoyait de Russie et n'émigra jamais). Biély publia les six tomes de sa revue Zapiskimečtatelej(Annales des rêveurs), tandis que Gorki s'alliait à Khodassiévitch pour publier la revue ...
  • SYMBOLISME - Littérature

    • Écrit par Pierre CITTI
    • 11 859 mots
    • 4 médias
    ...Hippius, où Blok publia ses premiers vers. Ces antagonismes seront souvent figurés par celui de « l'Orient et de l'Occident », titre de la trilogie d' Andréi Biély (1880-1934), dont le premier volume, La Colombe d'argent (1910), raconte le sacrifice d'un intellectuel occidentalisé, offert en victime...

Voir aussi