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BLOK ALEXANDRE (1880-1921)

L'univers de Blok est un univers visionnaire dont l'essence est musique. Blok a toujours cru à la réalité des « autres mondes » et à la possibilité de les percevoir, de les entendre, de les voir. Transcripteur des « autres mondes », Blok est avant tout un mystique. Écouter les voix des autres mondes, les transcrire aussi fidèlement que le lui permettent ses moyens humains, là est sa mission. Le poète est ce musicien auquel sa musique est dictée. Seule, cette musique importe, dont il n'est pas le maître mais l'esclave ; il la subit et son vers en est l'écho.

Marqué par l'angoisse

Son visage est régulier et beau, ses yeux larges et gris. Le front haut et droit est surmonté d'une chevelure cendrée, épaisse, rebelle. De haute taille, large d'épaules, doué d'une grande force physique, Alexandre Blok surprend par l'étrange lenteur de ses mouvements, par l'expression figée, comme morte, de ses yeux, par sa voix sourde, rappelant celle d'un homme mal éveillé ou d'un médium qui aurait à traduire les sons de l'au-delà. Il prononce chaque mot comme s'arrachant à un songe. Il écrit : « Ouvrez mes livres ; là est dit tout ce qui arrivera. Oui, je fus un prophète. »

Au début, son existence est retirée et calme, hors du monde et familiale. Cette vie a deux centres : l'appartement de son grand-père Beketov, recteur de l'université de Saint-Pétersbourg et le petit domaine familial de Chakhmatovo, aux environs de Moscou. Là se trouve une maison blanche toute simple, un parc couvert de sapins, de bouleaux, de tilleuls, d'érables. Là s'entremêlent les églantiers, les roses, les narcisses, les iris, les lilas. Bordé de très vieux bouleaux, un chemin descend vers l'étroite vallée, où, sous la voûte des aulnes, l'étang naît d'un ruisseau nonchalant. La poésie de ce coin de terre a, toute sa vie, envoûté Blok. Chaque été l'y ramenait. Et c'est là que le poète puise les traits les plus familiers de ses futurs paysages.

Chakhmatovo et Saint-Pétersbourg

Mais à côté de l'idylle de Chakhmatovo, il y a l'autre décor, l'autre vie. Saint-Pétersbourg et ses brumes, la Néva enveloppée de brouillard, la désolation de ses quais de granit. Les îles avec, au loin, les feux de Cronstadt, leurs allées humides et secrètes, les établissements nocturnes d'où s'échappent des bouffées de musique, de rires et de voix. Et, surtout, l'attrait des faubourgs, des ruelles bordées de maisons basses, hantées de voyous et de filles et d'où se dégage une trouble poésie, faite de vice et de misère, de crasse et de profonde humanité. Poésie d'un visage entrevu derrière un rideau à moitié baissé ; d'un pot de géraniums éclatants sur un fond sordide de masures ; d'un regard éperdu d'enfant abandonné ; ou encore, l'atrocité de telle scène où des dvorniks ivres s'amusent à torturer un rat blessé.

Blok aime ces sombres quartiers qui le confirment dans l'image qu'il se fait, depuis que la bienheureuse enfance est loin, du monde des hommes. Ce monde, il l'appelle « monde terrible, baraque de foire, lieu de honte ». Bien que l'humanité inspire à Blok une pitié torturante, il n'a pas conscience d'en faire partie. Que de fois il s'est désolidarisé d'eux, de ces hommes qui pour lui n'ont rien d'humain, rien de vivant ! « Durant l'été torride et l'hiver plein de tourmentes, durant les jours de vos noces, de vos fêtes, de vos deuils... », durant toutes ces quotidiennes choses qui remplissent les jours et les vies des hommes, lui, garde son irrémédiable et tragique solitude. Car le « monde terrible » des hommes n'est pas le sien, lui est mort depuis longtemps : « Qu'il est dur d'aller parmi les hommes et de faire semblant d'être vivant et passionné » (19 févr. 1912).[...]

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