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MARTINET ANDRÉ (1908-1999)

Par l'importance de son œuvre comme par le rôle historique qu'il a joué dans l'avènement de la linguistique structurale, par le rayonnement de son enseignement comme par la solide unité d'une conception de la langue qu'il n'a jamais cessé de défendre sans rien en modifier, André Martinet est certainement un des plus grands linguistes du xxe siècle, qu'il aura parcouru presque tout entier en le dominant de sa haute stature.

Né le 12 avril 1908 de parents instituteurs, André Martinet s'intéressa très tôt aux problèmes de langues, dans l'environnement bilingue de son village de Savoie, Saint-Alban-des-Villards, non loin de la commune d'Hauteville, dont il décrira, quarante-huit ans plus tard, le parler franco-provençal. Venu à Paris avec sa famille en 1911, il obtint, à vingt-deux ans, l'agrégation d'anglais.

Très vite, il élargit ses intérêts aux langues germaniques et à la linguistique générale. Il est séduit par les conceptions de l'école de Prague, qui vient de présenter en 1928 au congrès de La Haye, par les voix, notamment, de N. S. Troubetzkoy et de R. Jakobson, le Manifeste considéré comme l'acte fondateur de la phonologie, et par là, du structuralisme européen en linguistique. André Martinet rencontre en 1933 Troubetzkoy de passage à Paris, et commence d'entretenir une correspondance avec le savant russe, qui apprécie la manière dont ce jeune linguiste français applique à la description de sa langue les principes de la phonologie. En 1934, Martinet épouse une Danoise, et les séjours qu'il fait à Copenhague le conduisent à nouer des relations avec Louis Hjelmslev, dont il propagera les idées en France. En 1937, Martinet, qui vient de soutenir, à moins de trente ans, sa thèse sur la gémination expressive en germanique, est nommé directeur d'études à l'École pratique des hautes études, sur une chaire, créée pour lui, de phonologie.

La Seconde Guerre mondiale disperse les linguistes qu'avait réunis la promotion enthousiaste de la phonologie. Martinet accepte en 1946 d'aller diriger les travaux de l'International Auxiliary Language Association à New York. Il y retrouve Jakobson, et comme lui il s'efforcera, notamment en dirigeant les traductions de Saussure et de Hjelmslev, de faire connaître aux linguistes américains, un peu repliés sur leurs propres recherches, les travaux des linguistes européens. En 1947, Martinet est nommé chef du département de linguistique à Columbia University, où il va enseigner la linguistique synchronique et la grammaire comparée des langues indo-européennes.

Ainsi lui sont fournis les matériaux et les bases théoriques de sa réflexion sur l'évolution de la face phonique des langues, traitée dans son premier grand livre, Économie des changements phonétiques. Celui-ci paraît en 1955, année du retour en France de Martinet, qui obtient la chaire de linguistique générale à la Sorbonne, et pour qui est créée en 1957 une direction d'études de linguistique structurale à l'École pratique des hautes études. Ces enseignements, qui alimentent la parution, en 1960, de la première édition des Éléments de linguistique générale, livre au succès considérable, assurent la formation d'un nombre important de chercheurs, au point qu'on peut dire que presque tous ceux et celles qui, dans les années 1950 et 1960, s'initiaient à la linguistique à Paris, et qui acquirent par la suite un nom sur la scène française ou ailleurs, ont à un moment ou à un autre, croisé Martinet soit comme élèves, soit comme auditeurs.

À partir de la fin des années 1960, les modèles formalistes et logicistes commencent à fleurir aux États-Unis et en Europe. Martinet ne cède pas à cette pression, et s'en tient aux positions réalistes et empiricistes qu'il avait déjà défendues précédemment face à l'abstractionnisme[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, professeur sans chaire à l'université de Poitiers, directeur d'études à l'École pratique des hautes études

Classification

Pour citer cet article

Claude HAGÈGE. MARTINET ANDRÉ (1908-1999) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DOUBLE ARTICULATION

    • Écrit par Louis-Jean CALVET
    • 300 mots

    Dans le cadre de la linguistique fonctionnelle d'André Martinet, la double articulation désigne la propriété de tout énoncé linguistique d'être segmenté à deux niveaux : à un premier niveau (la première articulation), en unités ayant à la fois une face formelle (signifiant...

  • EXPANSION, linguistique

    • Écrit par Louis-Jean CALVET
    • 362 mots

    Le terme expansion est employé en linguistique avec trois sens différents.

    D'une façon très générale et peu formalisée, il désigne le résultat de l'adjonction d'un terme (ou de plusieurs termes) à un syntagme quelconque. On dira par exemple que le président de la République...

  • LANGAGE PHILOSOPHIES DU

    • Écrit par Jean-Pierre COMETTI, Paul RICŒUR
    • 23 538 mots
    • 9 médias
    André Martinet, plus sensible que Jakobson à ce qui distingue une langue d'une autre, intéresse le philosophe à plus d'un titre : d'abord, par la notion même de linguistique « fonctionnelle » qui le distingue du structuralisme américain ; ensuite, par l'introduction du principe d'économie dans les faits...
  • LINGUISTIQUE - Théories

    • Écrit par Catherine FUCHS
    • 7 713 mots
    • 1 média
    ...(1890-1938) et de Roman Jakobson (1896-1982), à Copenhague la « glossématique » de Louis Hjelmslev (1899-1965), et à Paris le « fonctionnalisme » d'André Martinet (1908-1999) ainsi que la « psychomécanique » de Gustave Guillaume (1889-1960). Aux États-Unis, outre des travaux d'inspiration...
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Voir aussi