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LAMARTINE ALPHONSE DE (1790-1869)

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Un seigneur qui se divertit à écrire

Les sévérités sont usuelles sur Lamartine écrivain. Musset l'appelait « pleurard à nacelle » (allusion au Lac) et Flaubert le tenait pour le principal responsable de ce qu'il appelait « les embêtements bleuâtres du lyrisme poitrinaire ». Encore Flaubert, 1836 : « Que c'est mauvais, Jocelyn ! [...] détestable poésie, inane [...] ; ces phrases-là n'ont ni muscles ni sang. » Gustave Planche y découvrait des « buissons de solécismes », et Veuillot, féroce et jubilant, affirme, à propos de l'Épître à Alphonse Karr, que « la rime, le traînant où elle veut, l'accroche dans des asservissements qui feraient rougir un facteur de bouts rimés ». De fait, Lamartine poète s'accorde un excès de « licences » : impropriétés scandaleuses, inversions-contorsions, fautes de grammaire exprès commises pour que le vers ait son compte de syllabes. Sainte-Beuve prenait un air pincé : le génie ne suffit pas, disait-il, « il faut tout de même qu'un soin quelconque aide à l'exécution » ; et Alexandre Vinet, plus indulgent, déplore « ce nonchaloir un peu superbe » auquel il lui semble que l'écrivain, chez Lamartine, se complaît un peu trop.

Oui, Lamartine, comme le dira très bien Rimbaud, est « étranglé par la forme vieille » ; il a fait ses classes, en littérature, auprès des petits poètes du xviiie siècle, Voltaire y compris. Il vit sur leur rhétorique et leur vocabulaire. Les douze ans seulement qu'il a de plus que Victor Hugo n'en font pas moins de lui, par rapport à son jeune rival, un homme du passé. Son dictionnaire est mince, sa langue poétique est de routine. Les mots convenus ne le gênent pas. Mais il est bien certain, également, qu'il ne se donne pas beaucoup de mal, la plume à la main, ou, si l'on préfère, la lyre au doigts. Il se contente de l'à-peu-près. C'est un « honnête homme », un seigneur, qui se divertit à écrire, qui chante ou fredonne, parce qu'il en a envie ; il n'est pas un professionnel, pour rien au monde un professionnel ; il n'est pas du métier et attache du prix à marquer les distances entre les gens de lettres et lui-même. Hugo, qui l'aime bien, lui fait, malgré tout, l'effet d'un tâcheron, car il vit de ses livres, et s'applique, s'applique... Tandis que lui, le châtelain, il écrit « par surcroît » et dédaigne de collaborer à son génie.

Résultat : il agace, bien souvent, et on le sent aussi, parfois, indifférent, avec une espèce d'insolence, à la valeur esthétique de ce qu'il propose. Il affecte de ne point écrire pour vendre, mais dès les Nouvelles Méditations, il fait des calculs : tel nombre de vers promis par lui à l'éditeur, pour telle somme ; additionne ce qu'il a composé et pose une soustraction ; reste tant, qui manque encore ; alors il complète son recueil, vaille que vaille, y fourrant des pièces écartées l'avant-veille, ou des membres épars de ce Saül, refusé par Talma, et qu'il se met à dépecer. Deux fois de suite, et à trois ans de distance, il apparaît en « poète mourant », ce qui lui vaudra des rires et une objurgation indécente. Et c'est bien sa faute s'il se laisse prendre pour je ne sais quel mandoliniste languide, éthéré, gémissant, pour ce « femmelin » que Proudhon, mal perspicace et surtout malveillant, s'obstinera à voir en lui. N'empêche qu'un autre critique, s'imaginant sans doute le griffer, invente pour ses vers, dès 1821, une définition curieuse ; il les appelle des « romances sans paroles ». Trouvaille, cinquante ans plus tard reprise et personnellement adoptée par Verlaine, poète de sa race (mais travailleur et rusé technicien). Lamartine parlera, d'un ton noble, de « respiration de l'âme ». Disons simplement que des rythmes se forment en lui comme à son insu ; il ne les sollicite pas,[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé et docteur ès lettres, ancien professeur aux universités du Caire, de Bordeaux, de Lyon et de Genève

Classification

Pour citer cet article

Henri GUILLEMIN. LAMARTINE ALPHONSE DE (1790-1869) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Lamartine - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Lamartine

Autres références

  • MÉDITATIONS POÉTIQUES, Alphonse de Lamartine - Fiche de lecture

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    Les Méditations poétiques d'Alphonse de Lamartine (1790-1869) sont publiées le 11 mars 1820, à 500 exemplaires, sans nom d'auteur, avec un « avertissement » liminaire signé E[ugène] G[enoude], chez l'éditeur Charles Nicolle, alors bien connu des cercles catholiques et royalistes. Soigneusement...

  • DEUXIÈME RÉPUBLIQUE

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    1850 Première de la pièce Toussaint-Louverture. Lamartine y utilise le personnage emblématique de Spartacus pour incarner la révolte des esclaves noirs des Antilles.

    1916 Publication par les Allemands Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg d'un journal d'extrême gauche intitulé Spartakus...

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    ...domaine revient à la fin des troubles, et du non moins pieux Mathieu de Montmorency, on y fait des retraites spirituelles très fréquentées. C'est là que Lamartine a passé la semaine sainte de 1819, qu'il a écrit l'une de ses Méditations et puisé l'inspiration religieuse d'une partie de son...
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