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SOLJÉNITSYNE ALEXANDRE ISSAÏEVITCH (1918-2008)

Proscrit d'U.R.S.S. en février 1974, Alexandre Soljénitsyne est rentré en Russie en juillet 1994. Vingt ans d'exil, vingt ans d'écriture forcenée en sa retraite américaine du Vermont n'avaient pas entamé l'énergie du dissident, ni la force du prophète. Il choisit de rentrer lentement, étape par étape, d'est en ouest. Son avion fit escale à Magadan, cette porte de l'enfer concentrationnaire de la Kolyma ; tel un pape, Soljénitsyne baisa ce sol foulé par les martyrs anonymes auxquels son monumental Archipel du Goulag avait donné parole. À chaque gare les anciens zeks (détenus) venaient à sa rencontre. Chaque soir, le maître écoutait les doléances d'un public désorienté par la chute du communisme, les réformes économiques, la perte d'un empire. Humiliés et offensés avaient trouvé leur porte-parole attentif. Une fois de plus, Soljénitsyne disait non. Non à la liberté économique débridée, non à la confiscation de la démocratie par les anciens profiteurs. Soljénitsyne n'est pas un politicien, il ne présente pas un programme susceptible de rassembler des adhésions. Il est avant tout un rebelle, un prophète qui dit non. Une grande part du malentendu actuel entre lui et l'Occident vient de ce que l'Occident a toujours mal perçu la racine spirituelle du non de Soljénitsyne. Cette racine est religieuse : l'homme Soljénitsyne a trouvé la foi dans le dénuement absolu des camps ; son premier refus a été celui de l'avilissement, de l'homme matriculaire. De ce refus central sont venus les autres : refus de la parole serve (l'idéologie), refus des pouvoirs qui annihilent les personnes, refus du progrès économique transformé en veau d'or, du libéralisme politique en tant que fauteur d'une jungle économique et sociale. Ces refus ont leur histoire, Soljénitsyne ne les a pas tous articulés d'un coup, mais l'un contenait l'autre.

Alexandre Soljénitsyne à Zurich - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Alexandre Soljénitsyne à Zurich

Heinrich Böll et Soljénitsyne - crédits : Jean-Claude Francolon/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Heinrich Böll et Soljénitsyne

Un dialogue libérateur

Ce prophète qui dit non a connu la joie intense que procure précisément le refus. La jubilation de la révolte, le rire de l'esclave affranchi, la mordante ironie de l'imprécateur marquent son œuvre. La première de ses œuvres majeures, dans l'ordre de leur genèse, c'est Le Premier Cercle : transposition à peine romancée du séjour du zek Soljénitsyne dans une des nombreuses prisons-laboratoires où Staline tenait sous clé presque tous les savants de son pays. Cette prison, c'est le « premier cercle », celui où Dante situe les sages de l'Antiquité, qui n'ont pas connu le Christ. Le Premier Cercle est un dialogue libérateur entre bagnards-savants. Revenus au point zéro de la condition humaine, ces zeks se libèrent mutuellement par le rire, par le débat philosophique et par le sacrifice de soi. Ils créent une sorte de fraternité (les nouveaux rosicruciens) et, détachés de la vie réelle, placés par leurs bourreaux dans une situation d'ascèse totale, ils recréent la valeur, la culture, l'égalité humaine. Les chapitres extérieurs à la prison, ceux du monde « libre », sont, au contraire, entièrement plongés dans les ténèbres de la peur, de la délation, du mensonge. Le despote suprême, Staline, enfermé dans son caveau du Kremlin, soupçonneux de tous, se condamne lui-même à une existence nocturne, solitaire et apeurée. Le Premier Cercle a été la thérapeutique que Soljénitsyne s'est appliquée à lui-même : un transfert de la peur des victimes sur les bourreaux. Dans l'édition russe corrigée de 1978, cette symbolique est encore plus marquée : en acceptant l'enfermement dans le cercle des purs, le diplomate innocent Volodine échappe aux épouvantes du monde totalitaire. Le cercle des savants-bagnards devient une Arche, semblable à celle de Noé. En ce refuge qu'est la prison acceptée, l'homme se libère intérieurement, tel Épictète ou Marc Aurèle. Et ces nouveaux[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève

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Médias

Alexandre Soljénitsyne à Zurich - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Alexandre Soljénitsyne à Zurich

Heinrich Böll et Soljénitsyne - crédits : Jean-Claude Francolon/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Heinrich Böll et Soljénitsyne

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