COHEN ALBERT (1895-1981)
Combats
La guerre déclarée, Albert Cohen se tait et mène son combat, à Londres, nouvelle étape d'une carrière diplomatique commencée au B.I.T. d'Albert Thomas et qu'il avait quittée pour se consacrer totalement à l'écriture. La réussite littéraire, pourtant, le jeune prodige découvert par Jacques Rivière la désirait intensément. Dès leur première rencontre, à Genève, Jacques Rivière lui avait proposé un contrat pour des romans. À vingt ans, Cohen dirige La Revue juive à laquelle collaborent Albert Einstein et Sigmund Freud ; en 1926, à propos de Visions – texte qui ne sera jamais publié – Max Jacob déclare son admiration et clame le génie de l'écrivain genevois ; dès la publication de Solal, Gaston Gallimard verse une rente au romancier. Le comité de lecture de la Comédie-Française découvre une pièce de théâtre envoyée à l'insu de son auteur et la monte en 1933. Il y a des bousculades et des cris aux représentations d'Ézéchiel : l'auteur est juif, mais la critique parle de ses accents shakespeariens. Malgré cette fulgurante ascension, Albert Cohen laissera le devant de la scène à son meilleur ami, son compagnon du lycée de Marseille, Marcel Pagnol. Sa fuite ne sera pas exactement celle de Rimbaud : renonçant à l'écriture, il ne cherchera son désert que dans les ruines des bombardements. On est tenté de l'identifier à Solal, le plus fameux de ses personnages, mais une telle assimilation serait téméraire : aux dernières pages du premier roman, Solal, nous dit l'auteur, est « celui qui regarde le soleil en face ». Est-il encore Solal, le Cohen de Londres, ce neveu bien-aimé des Valeureux, qui fait carrière et devient ministre ? Le roman naît de l'enchantement de l'antique Méditerranée, berceau de l'humanisme : comment être Solal quand les Valeureux, dans l'Europe agonisante, sont l'objet de la pire des persécutions ? Finie la dérision joyeuse : dans les brumes de Londres, Albert Cohen mène la résistance d'Israël. Personnage important, il représente Chaïm Weizmann et le sionisme. Il va rencontrer de Gaulle, dont il sera plus tard l'un des auteurs de chevet (les hommes politiques aiment à lire Cohen et François Mitterrand fera beaucoup pour la reconnaissance de son mérite). Dès 1945, il dirige la division de protection juridique et politique à l'O.N.U. et ce cahier blanc dont il est l'auteur, travail de juriste qui permet aux apatrides d'avoir enfin un vrai passeport, il va le considérer comme une des œuvres marquantes de sa vie. Solal n'est plus Solal et pourtant, par la grâce d'une femme, Bella, cette troisième épouse rencontrée en Angleterre et qui sera la compagne de sa vie, Albert Cohen va finir par le ressusciter. Le retour à l'écriture est l'œuvre de Bella. Désormais, tous ses livres, il va les écrire pour elle : Belle du Seigneur, chef-d'œuvre du roman français contemporain, féroce dénonciation de la passion, a été écrit dans la quiétude du bonheur conjugal par un diplomate en retraite de soixante-dix ans.
Entre Mangeclous et Belle du Seigneur, entre le deuxième et le troisième roman, s'étale une marge de trente années. Dans cette marge, un seul livre, le premier de trois ouvrages de confession, à la fois mise à nu et testament. Puisque Bella n'a pas connu sa mère, Albert Cohen écrit pour elle Le Livre de ma mère. De l'écrivain qu'il a été, de son succès, le diplomate garde, sans doute, une nostalgie. Quand Paul-Henri Spaak, son ami, lui conseille de renoncer à l'ambassade d'Israël à Paris (« Il y a beaucoup d'ambassadeurs dans le monde, il n'y a qu'un écrivain du nom d'Albert Cohen ! »), il est ébranlé.
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Écrit par
- Gérard VALBERT : écrivain, critique littéraire, responsable des émissions littéraires de Radio Suisse romande
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