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DERATHÉ ROBERT (1905-1992)

Né à Besançon en décembre 1905, fils d'un libraire, Robert Derathé, après des études au lycée de sa ville natale, poursuivit, au lycée Louis-le-Grand, puis à la Sorbonne, un cursus philosophique qui le conduisit, en 1931, jusqu'à l'agrégation. Il enseigna alors aux lycées de Quimper, puis de Poitiers. Pensionnaire, de 1935 à 1938, à l'Institut français de Berlin, il séjourna ensuite à l'Institut français de Vienne. Après sa soutenance de thèse, il fut nommé professeur de philosophie à l'université de Nancy.

Robert Derathé a consacré l'essentiel de son œuvre à l'étude de Jean-Jacques Rousseau. Mais, pour lui, vouer sa vie à Rousseau signifiait qu'il voyait dans l'auteur du Contrat social l'une des figures de proue de la philosophie politique, ce qui l'amena à le situer à la fois par rapport à ses devanciers comme Bodin, Hobbes, Pufendorf ou Locke, par rapport à ses contemporains, tels Condillac, Montesquieu ou Hume, et aussi par rapport à ses successeurs, fussent-ils aussi prestigieux que Kant et Hegel. En cette tâche, tout ensemble généalogique et comparatiste, l'érudition de Robert Derathé fit merveille : historien des idées, savant et philosophe, il ne se borna, ni dans les deux grands ouvrages qu'il publia, l'un en 1948 (Le Rationalisme de Jean-Jacques Rousseau), l'autre en 1950 (Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps), ni dans la superbe édition des œuvres politiques de Rousseau qu'il donna dans la Bibliothèque de La Pléiade, à un simple commentaire de l'œuvre de Rousseau. Sa lecture s'enrichit de multiples références aux sources que Rousseau a exploitées ; elle permet des comparaisons significatives avec les diverses positions prises par les auteurs du xviiie siècle parmi lesquels, loin des « Lumières », l'auteur des Discours et du Contrat social s'éprouva toujours comme un solitaire. L'œuvre de Robert Derathé dépasse donc amplement l'étude de Rousseau ; de la « science politique » moderne, elle offre un panorama qui a le double mérite de rappeler l'importance des jurisconsultes dans l'édification conceptuelle de la sphère politique et de s'ordonner autour de « philosophèmes » puissants que l'histoire a progressivement forgés et qui, telles les notions de souveraineté, de contrat, de gouvernement, de légitimité, sont indispensables à la réflexion philosophique sur l'État moderne. Étudier Rousseau avec Robert Derathé, c'est par conséquent non seulement prendre conscience de l'importance de concepts que l'on pourrait dire transhistoriques, comme ceux de droit naturel, de droit positif, de loi naturelle, de loi civile — dont le monde romain avait déjà ciselé le statut —, mais aussi puiser dans la doctrine forgée aux xviie et xviiie siècles par l'École du droit de la nature et des gens les thèmes que la politique moderne remodela pour construire l'État du contrat.

Dans son premier ouvrage, Robert Derathé discutait la thèse de Pierre-Maurice Masson selon laquelle Rousseau aurait exalté « le sentiment aux dépens de la raison ». Proche des vues de Georges Beauvalon — qui soulignait au contraire dans la pensée de Rousseau « une constante collaboration du sentiment et de la raison », la raison éclairant le sentiment et la conscience servant de principe et de règle à la raison —, Robert Derathé entendait « compléter » et, sur certains points, « rectifier » cette interprétation. Ce fut pour lui l'occasion d'une étude anthropologique qui, conduite principalement d'après les Discours et la célèbre Profession de foi du vicaire savoyard, montrait avec force que, si les hommes commettent des erreurs en recourant à leur raison, celle-ci n'est par soi suspecte : loin d'être dépourvue de rectitude naturelle,[...]

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Simone GOYARD-FABRE. DERATHÉ ROBERT (1905-1992) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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