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QUÊTE, littérature

Notion « fonctionnelle » fondamentale dans le conte populaire, tel que l'a décrit Vladimir Propp, et dans le mythe, la quête est accomplie par le héros en vue de combler le « manque », caractéristique de la situation initiale. À ce titre, elle intervient aussi dans n'importe quel type de récit, d'une façon moins évidente parfois, et que seule l'analyse structurale permet de mettre en lumière. D'autres récits sont d'un bout à l'autre des quêtes, sous des formes très variables (guerre, poursuite, voyage, méditation) en vue d'objets si divers qu'il est vain d'en esquisser une typologie : Toison d'or, épouse (qu'on songe au début de la légende de Tristan et Iseut), secret (le roman policier, mais aussi la Recherche de l'absolu de Balzac ou À la recherche du temps perdu de Proust).

La littérature médiévale offre un exemple particulièrement frappant de quête dans le cycle romanesque immense consacré à la quête du Graal, liée dès Chrétien de Troyes à la matière arthurienne. Depuis que Perceval a aperçu un jour le Graal et la Lance-qui-saigne (Perceval ou le Conte du Graal), tous les chevaliers de la Table ronde sont engagés dans la recherche du vase mystérieux, dont la nature exacte varie d'un roman à l'autre en même temps que les qualités requises des héros pour l'obtenir. Dès Chrétien, le Graal est lié à un contexte spirituel, sans qu'il soit dit clairement que ce soit le calice même de la Cène et celui où Joseph d'Arimathie recueillit le sang du Crucifié, ce qui ne sera explicité que par Robert de Boron. Le Graal fait figure d'objet magique dans le Perlesvaux alors que sa conquête est nettement conditionnée par les vertus spirituelles du héros dans le Parzival du bavarois Wolfram von Eschenbach.

Le roman intitulé La Queste del saint Graal, l'un des plus étranges de la littérature universelle, porte à leur paroxysme toutes les possibilités du motif de la quête. Le Graal apparaît mystérieusement à la Table ronde ; tous jurent qu'ils n'auront pas de repos que ne soit découvert le secret du Graal : la quête de l'objet est quête d'une connaissance. Le récit répartit les héros en pécheurs et en saints : Gauvain, Hector ne trouvent aucune aventure, ils errent en pure perte. Les autres connaissent diverses aventures merveilleuses, des visions, des songes, dont il leur faut ensuite chercher le sens profond, qu'un ermite ou une religieuse leur explique : les personnages signifient l'Ancienne Loi, la Nouvelle Loi, le Diable, le Christ. Parfois même un rêve signifie la quête du Graal elle-même. En même temps que se déroule le récit se développe une interprétation qui a pour objet d'éliminer les pécheurs et de reconnaître les héros vainqueurs, dont le plus éminent, Galaad, était déjà dès le début annoncé et désigné. À ce moment, le récit d'aventures (où les héros allaient aussi bien en quête de l'aventure, et du sens de l'aventure, comme les chevaliers errants, qu'en quête du Graal) cède la place à la liturgie du Graal : à l'épreuve succède la récompense. À la coïncidence, dans chaque épisode, de l'aventure racontée et de sa signification correspond la double nature du Graal (physique : c'est le vase de la Cène, et mystique : il contient le corps de Jésus sous les apparences d'un homme blessé et sanglant) comme l'ambiguïté du roman lui-même ; c'est un roman de chevalerie, mais c'est une œuvre spirituelle (on a même voulu y voir l'œuvre d'un cistercien, sur la foi de quelques parallélismes théologiques) ; la curiosité du lecteur est sans cesse détournée de l'histoire (on sait d'avance comment tout finit) vers un sens qui n'est jamais donné en entier, sauf à Galaad qui meurt dans l'extase du secret révélé. Quand un héros cherche un objet, le lecteur cherche un sens et ne trouve qu'un récit, qui est ce sens et cet objet[...]

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Pour citer cet article

Jean-Pierre BORDIER. QUÊTE, littérature [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • RÉCIT DE VOYAGE

    • Écrit par Jean ROUDAUT
    • 7 128 mots
    • 1 média
    Le récit de voyage se double d'un récit de quête : celle d'un centre du monde qui mettrait justement fin au voyage, non pas dans la désolation de l'équivalence générale de tout, mais dans la plénitude que conférerait le sentiment d'être parvenu à l'omphalos. Qu'est-ce donc que ce verger oriental qui...
  • LA JÉRUSALEM DÉLIVRÉE, Le Tasse - Fiche de lecture

    • Écrit par Pascaline NICOU
    • 1 001 mots
    • 1 média
    ...la démesure, l'absence de frein et d'unité, même si certains ne sont pas dénués d'une valeur guerrière (Argante) ou d'une grandeur héroïque (Soliman). Les croisés sont aussi menacés par les ténèbres et la dispersion, mais ils accomplissent un parcours qui les fait tendre vers l'unité et le salut. Ils...
  • LANCELOT-GRAAL

    • Écrit par Emmanuèle BAUMGARTNER
    • 1 071 mots
    • 1 média
    ...manifestations des grands mystères de la Foi. Mais seul Galaad peut soulever le voile qui masque le Graal et accéder à la vision totale avant de mourir. On peut lire La Quête comme un nouvel évangile de la chevalerie, qui condamne l'orgueil et la luxure, péchés capitaux de la classe chevaleresque historique....
  • LE CLÉZIO JEAN-MARIE GUSTAVE (1940- )

    • Écrit par Christian DOUMET
    • 2 360 mots
    • 1 média
    ...celles de l' initiation. Dès lors, le roman de Le Clézio retrouvera les ressources narratives traditionnelles de ce qu'il faut bien appeler une «  quête initiatique ». Tantôt il s'agit de découvrir la lagune (ou la langue ?) où se cachent les baleines, et c'est dans Pawana. Tantôt,...

Voir aussi