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POPULISME

Le populisme entre le mythique et le médiatique

À l'analyse, les phénomènes populistes s'avèrent politiquement ambigus, idéologiquement ondulatoires et mythiquement ambivalents, en ce qu'ils paraissent réaliser des synthèses fictives, accomplir des réconciliations rêvées, inquiétantes aussi.

Un discours mythique

Le populisme se présente comme une «  démarche mythique » en ceci qu'il vise à réaliser aussi bien la purification d'une identité collective que l'abolition de la distance qui sépare le peuple des élites : retour aux racines ou désir de fusion, de transparence ; rêve d'immédiateté et d'immédiation, en tout cas. Le discours populiste relève du mythe, notamment en ce qu'il propose de réconcilier par un appel au peuple ce qui, dans la réalité sociale, résiste absolument à la réconciliation. Les travaux désormais classiques sur le populisme en Amérique latine ont montré la centralité du thème de l'unification du corps social, enveloppant la référence à une image unifiée du peuple (E. Laclau, 2008). Quant à la continuité, voire à l'unité entre le passé et l'avenir, elle est rêvée comme un effet de la fidélité aux « vraies valeurs » propres. Ce moralisme se rencontre notamment dans les populismes communautaires africains contemporains. La promesse populiste d'une réconciliation entre la modernisation économique, l'identité culturelle (nationale ou régionale) et le pouvoir politique ne peut se réaliser que dans l'imaginaire ; elle est donc de facture mythique.

Télépopulisme : le modèle italien

Le bon démagogue de la postmodernité est le tribun télégénique, occupant l'espace de la « vidéopolitique ». Ne peut-on voir dans l'emprise croissante du pouvoir télévisuel qui lie les uns aux autres des individus de plus en plus isolés par ailleurs, toute proximité et toute distance étant en même temps abolies, quelque chose comme la confirmation imprévue de la thèse de Hannah Arendt selon laquelle « seuls des individus isolés peuvent être totalement dominés » ?

Silvio Berlusconi - crédits : Jacques Langevin/ Sygma/ Getty Images

Silvio Berlusconi

Les foudroyantes métamorphoses du système politique italien des années 1990 ont valeur d'expérimentation. Dans un contexte marqué par l'opération Mani pulite (« Mains propres ») lancée au printemps de 1992, qui dévoilait et démontait le système de corruption dont vivait la partitocratie italienne depuis près d'un demi-siècle, on a pu assister à la fulgurante ascension télépolitique de Silvio Berlusconi, magnat de la télévision, qui a lancé au début de janvier 1994 un nouveau mouvement politique, Forza Italia, et a mis en place une coalition électorale hétéroclite, avec la Ligue du Nord, parti fédéraliste dirigé par Umberto Bossi, et l'Alliance nationale, parti de droite « postfasciste » issu du néofasciste MSI (Mouvement social italien). Contre toute attente, cette coalition, le Pôle de la liberté, a gagné les élections législatives des 27-28 mars 1994. Le gouvernement Berlusconi, intronisé le 10 mai, a duré sept mois : sa chute, le 22 décembre 1994, a été aussi rapide que son ascension. La carrière politique de Berlusconi, réélu encore une fois en avril 2008, jette un éclairage précieux sur les interférences contemporaines du politique, du démagogique et du médiatique : la communication télévisuelle se substitue au fonctionnement démocratique ; elle devient une nouvelle pratique de la démocratie, une sorte de réalisation symbolique du rêve de démocratie directe. Le télépopulisme est une vidéodémagogie : le démagogue agit sur son auditoire en se donnant à voir plus qu'en se faisant entendre.

Le contraste entre la nouvelle démagogie télévisuelle (le sourire « clean » d'un Silvio Berlusconi refait à neuf) et la classique démagogie de l'orateur prenant la parole en public (la voix rocailleuse, le ton agressif[...]

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Pour citer cet article

Pierre-André TAGUIEFF. POPULISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole - crédits : Matt McClain/ The Washington Post/ Getty Images

Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán - crédits : Marton Monus/ picture alliance/ Getty Images

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán

Mouammar Kadhafi, 1973 - crédits : Michel Artault/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Mouammar Kadhafi, 1973

Autres références

  • ALGÉRIE

    • Écrit par Charles-Robert AGERON, Universalis, Sid-Ahmed SOUIAH, Benjamin STORA, Pierre VERMEREN
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