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POPULISME

Le national-populisme autoritaire du Front national en France : un type idéal

Le populisme français contemporain, dans sa version lepéniste, apparaît comme un mélange de bonapartisme, de populisme réactionnaire à dominante nationale-xénophobe, voire raciste, de démocratie populiste à la Suisse et de populisme des politiciens.

Jean-Marie Le Pen - crédits : Laurent Maous/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Jean-Marie Le Pen

Cinq traits caractéristiques permettent de construire le type idéal du national-populisme de Jean-Marie Le Pen, en tenant compte à la fois du style démagogique du leader, des valeurs exaltées dans le discours orthodoxe et des caractéristiques de la mobilisation « populaire » réalisée.

– Un appel personnel au peuple, dont l'efficacité symbolique suppose l'autorité charismatique du leader-démagogue, lequel doit pouvoir incarner le mouvement social et politique initié. Le parti populiste doit être hyperboliquement personnalisé. L'appel lepéniste au peuple implique l'utilisation des médias, en particulier de la télévision ; il s'agit donc aussi d'un télépopulisme, d'un télépopulisme de provocation tactique.

– L'appel au peuple tout entier, sans distinction de classes, de tendances idéologiques ou de catégories culturelles : l'objet de la visée populiste est de réaliser un rassemblement interclassiste dans le cadre national. Il reste à soumettre à ce critère la composition de l'électorat réel du Front national, saisi dans son évolution – un électorat qui s'avère, en 1995, le plus « populaire », voire le plus « prolétaire » des électorats en France. Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 1995 confirment cet enracinement populaire du Front national : 30 % des ouvriers et 25 % des chômeurs (Sofres) ont voté pour Le Pen, qui a obtenu 15 % des suffrages exprimés, confirmant son score de la présidentielle de 1988 (14,4 %). À l'élection présidentielle de 2002, Le Pen devance le candidat socialiste, Lionel Jospin, au 1er tour, en obtenant 16,86 % des suffrages. Le second tour l'oppose à Jacques Chirac, qui sera finalement élu avec 82,2 % des suffrages. Cette « popularisation » croissante n'a cependant pas entamé la nature interclassiste de l'électorat lepéniste, où les artisans et commerçants restaient fortement représentés. Alors qu’elle était arrivée en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 (avec 17,9 % des suffrages), Marine Le Pen est parvenue au second tour dans les deux élections qui ont suivi, en 2017 et en 2022. Au second tour de l’élection présidentielle de 2022, elle a recueilli 41,45 % des suffrages. Si son électorat reste interclassiste, il est toujours fortement populaire : Marine Le Pen a capté, selon l’institut IPSOS, le vote de 67 % des ouvriers et de 57 % des employés. Elle peut donc présenter son parti comme l’expression politique de « la France des oubliés » et de ceux qui sont « de quelque part », organisés en un « bloc populaire » face à l’oligarchie « mondialiste ».

– L'appel direct au peuple authentique et à lui seul, en tant qu'il est « sain », « simple », « honnête », doté d'un « instinct » supposé infaillible, ordonné au bien. Ce troisième trait permet de corriger le deuxième, avec lequel il entre en contradiction : l'ambigüité du dêmos est ainsi retrouvée, le « peuple » étant à la fois le peuple tout entier et une partie du peuple, la partie supposée « saine ». Tout démagogue joue sur ces deux sens du mot, le démagogue nationaliste tout particulièrement. L'énergie, la bonté et la générosité qu'on prête au peuple font de lui à la fois un « bon enfant » et un « bon vivant » ; il est à ce titre plus proche de la (bonne) nature que les élites vivant dans un monde artificiel autant que concurrentiel. Il est en outre supposé culturellement intact, épargné[...]

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Pour citer cet article

Pierre-André TAGUIEFF. POPULISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole - crédits : Matt McClain/ The Washington Post/ Getty Images

Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán - crédits : Marton Monus/ picture alliance/ Getty Images

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán

Mouammar Kadhafi, 1973 - crédits : Michel Artault/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Mouammar Kadhafi, 1973

Autres références

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