Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CORNEILLE PIERRE (1606-1684)

L'univers cornélien

Le théâtre de Corneille est moins une peinture de l'homme que la mise en œuvre dramatique d'une certaine conception du héros : c'est dire que la psychologie y cède le pas à l'affirmation des valeurs. Le héros est bien figuré selon les données de l'âme humaine, et en ce sens Corneille peut être psychologue. Mais il s'agit surtout que le héros soit admirable, et il n'est pas rare qu'il le soit aux dépens de la plausibilité, quelques précautions que Corneille prenne pour l'éviter : on s'en convaincra en relisant Rodogune, Pertharite, Horacemême. Cette situation de Corneille sur un plan supra-psychologique a toujours été perçue plus ou moins clairement. C'est sans doute ce que voulait dire La Bruyère quand il écrivait que Corneille peint les hommes « tels qu'ils devraient être ». Ce mot fameux proclame la nécessité, si l'on veut comprendre Corneille, de définir le modèle idéal qu'il avait en vue. Cependant, l'idéal est une matière variable, et le verbe « devoir » n'a pas toujours ni partout la même application. Les critiques qui ont essayé, pendant près de deux siècles, de définir le héros selon Corneille ont trop souvent consulté, pour en faire la loi de l'héroïsme cornélien, les commandements de leur propre morale. À qui veut aujourd'hui retrouver, par-delà telles interprétations anachroniques, un Corneille plus vrai, un effort de sympathie historique est indispensable : Corneille n'en sort nullement diminué, ni réduit à une province étroite du passé ; au contraire, l'intuition du sens de l'œuvre à sa naissance et pour le public contemporain permet seule de réfléchir sans malentendu à sa portée humaine.

Variations de la critique cornélienne

À travers les opinions diverses des critiques, quelques évidences se retrouvent d'une génération à l'autre. Elles nous serviront de première approche dans la définition du héros. On a toujours remarqué dans la grandeur d'âme cornélienne une certaine exaltation du moi : on citerait aisément des observations de Guizot, Sainte-Beuve, Lemaître ou Faguet qui vont dans ce sens. Cet aspect du héros selon Corneille a été plus d'une fois expliqué par une source aristocratique : le penchant à se faire valoir et le goût de ce qui distingue sont des traits qui caractérisent historiquement la façon d'être et l'idéologie d'une classe. On a rapproché l'orgueil ombrageux des personnages cornéliens, qui les porte au défi et à la révolte, de l'état d'esprit de la noblesse moderne dans ses difficiles relations avec le monarque. Déjà Voltaire avait observé tout ce que Corneille doit à l'esprit chevaleresque lorsqu'il représente l'amour.

Malheureusement, ces intuitions ont été recouvertes par une construction systématique issue d'une interprétation toute différente. Comme les notions de sacrifice et de devoir apparaissent fréquemment dans l'explication que le héros cornélien donne de sa conduite, on l'a refait tout entier à partir de là. On l'a défini par le triomphe de la volonté et de la raison sur les impulsions du cœur, sans se demander par quelle impulsion la volonté et la raison entraient elles-mêmes en action et en supposant admis qu'elles exerçaient naturellement une fonction répressive. Ce Corneille, qu'on peut dire bourgeois ou puritain, était celui qu'on enseignait en France il y a encore peu d'années.

Depuis quelques générations, Corneille connaît un renouveau de faveur. Un peu négligé en raison même de l'idée peu attrayante que la critique traditionnelle donnait de lui, Corneille bénéficia peut-être, dans les années 1930, de l'intérêt qui s'attachait alors, pour des raisons d'ailleurs fort discutables, à toute idéologie héroïque. D'autre part, les acquisitions[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire de littérature française à l'université Harvard

Classification

Pour citer cet article

Paul BÉNICHOU. CORNEILLE PIERRE (1606-1684) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Pierre Corneille - crédits :  Erich Lessing/ AKG-Images

Pierre Corneille

Autres références

  • LE CID, Pierre Corneille - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 276 mots
    • 1 média

    D'abord joué en janvier 1637 sous la bannière de la tragi-comédie, Le Cid de Pierre Corneille (1606-1684) connaît immédiatement un grand succès au théâtre du Marais. La « Querelle du Cid » s'ouvre quelques semaines après la première représentation, en avril 1637, avec les ...

  • CINNA, Pierre Corneille - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 072 mots

    Après la querelle du Cid (1637) et un silence de trois années, Corneille (1606-1684) composa coup sur coup Horace et Cinna (dont les premières représentations eurent lieu en 1640 ou 1641), deux pièces romaines à fin heureuse. Il ne fit éditer Cinna qu'en 1642, pour éviter qu'elle ne tombe trop...

  • HORACE, Pierre Corneille - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 197 mots

    On a coutume de lire Horace (joué en 1640 au théâtre du Marais, publié en 1641) et Cinna (probablement jouée en 1641 au théâtre du Marais, et publiée en 1643) comme des tragédies idéalisantes où se met en place un équilibre dramaturgique. L'ambition y est guidée par la volonté dans une voie vertueuse,...

  • L'ILLUSION COMIQUE, Pierre Corneille - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 516 mots

    Comment défendre le théâtre et les comédiens au moyen du théâtre ? Comment, lorsqu'on est Pierre Corneille (1606-1684), poète dramatique de bientôt trente ans, déjà assez connu à Paris, auteur d'une tragi-comédie (Clitandre, 1631), de quatre comédies (Mélite, 1629-1630 ;...

  • POLYEUCTE MARTYR, Pierre Corneille - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 343 mots

    Créé au théâtre du Marais en 1643, Polyeucte martyr est la première tragédie chrétienne de Pierre Corneille (1606-1684). Suivra Théodore, vierge et martyre, la seconde et dernière, en 1646. Le genre de la tragédie de saints et de martyrs, dans les années 1640, donne lieu à de nombreuses réalisations...

  • SURÉNA, Pierre Corneille - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 060 mots

    Dernière tragédie de Corneille (1606-1684), Suréna (1674) ne connut pas le succès à son époque : on ne voulut pas l'entendre et l'on croyait l'auteur trop vieux et dépassé. Pourtant, cette tragédie, longtemps oubliée, passe depuis peu pour un chef-d'œuvre.

  • TROIS DISCOURS SUR LE POÈME DRAMATIQUE, Pierre Corneille - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 719 mots

    Pierre Corneille (1606-1684) est peut-être le premier, en France, à se distinguer clairement de l'auteur employé-au-texte comme de l'auteur chef de troupe : il devient en effet l'« auteur dramatique » et, pour ce faire, établit sa légitimité sur plusieurs fronts. Pour s'affranchir du pouvoir...

  • AUBIGNAC FRANÇOIS HÉDELIN abbé d' (1604-1676)

    • Écrit par Bernard CROQUETTE
    • 698 mots

    L'un de ces abbés qui tiennent tant de place dans l'histoire de la littérature — et des théories littéraires — au xviie siècle. Il a été prédicateur, romancier, dramaturge, poète, mais il a surtout voulu être, quant à lui, le législateur du théâtre. En 1640, une querelle l'oppose...

  • GENRES DRAMATIQUES

    • Écrit par Elsa MARPEAU
    • 1 606 mots
    ...à définir la tragédie, ils laissent partiellement dans l'ombre sa sœur comique. Aussi faut-il souvent la déduire par une opposition des deux genres. La tragédie présente ainsi un « péril de vie » et exige « quelque grand intérêt d'État ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour » (Pierre...
  • CID LE

    • Écrit par Charles Vincent AUBRUN
    • 2 823 mots
    ...Les Exploits du Cid. Les Jeunesses organisent dramatiquement un conflit entre l'amour et l'honneur chez Rodrigue aussi bien que chez Chimène. Corneille, peu de temps après, lisait la pièce et la refaisait. Éliminant les épisodes romanesques tels que la prophétie du lépreux et l'ordalie, il donne...
  • CLÉMENCE, littérature

    • Écrit par Jean MASSIN
    • 700 mots

    Décidant en dernier recours du sort d'un condamné, le prince a toujours la partie belle ; s'il laisse faire son office au bourreau, on s'incline devant sa justice et on célèbre son obéissance, peut-être douloureuse, au devoir et à la raison d'État ; s'il fait grâce, on soupçonne parfois avec admiration...

  • Afficher les 19 références

Voir aussi