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CÉLINE LOUIS-FERDINAND (1894-1961)

La difficile reconquête de la célébrité

En 1951, Céline revient définitivement en France. Il acquiert à Meudon un pavillon qu'il occupera jusqu'à sa mort : là, sous l'identité de Destouches, très changé physiquement par les épreuves de la guerre et de l'exil, protégé des importuns par une cohorte de bergers allemands, il reprendra, par nécessité financière, l'exercice de la médecine, tandis que sa femme assurera des cours de danse. La même année, il signe avec les éditions Gallimard un contrat portant sur la réédition de cinq anciens titres. En 1952 paraît Féerie pour une autre fois : le livre ne rencontre pas même un succès d'estime. En 1954 est publié Féerie pour une autre fois II :Normance ; de nouveau, silence de la critique et indifférence du public.

Quelles raisons attribuer à un tel insuccès ? Il y a d'abord le fait, évident, que l'image de marque de Céline d'avant-guerre est ternie, voire effacée : un trop long retrait de la scène culturelle, des engagements idéologiques plus que troubles, des démêlés avec la justice dégradent une popularité ; vingt ans après Voyage, le retour littéraire de Céline se révèle problématique. Les lecteurs se sont renouvelés. Des auteurs notoires, nobélisés ou nobélisables, font florès. De plus, à une heure où le public, toujours traumatisé par la guerre, l'Holocauste, Hiroshima et Yalta, recherche sinon des maîtres à penser, du moins des compagnons de désespoir, Céline, lui, ne se préoccupe que de l'élaboration d'une « petite musique » langagière. Alors que s'épanouissent le roman existentialiste et le théâtre de l'absurde, il refuse farouchement l'idée et la thèse et se veut simple et humble artisan de l'écriture. Enfin, l'influence grandissante des médias impose de nouveaux modes de publicité et de promotion artistiques : l'article élogieux d'un critique érudit d'une revue de bon ton ne suffit plus à faire vendre ; il faut être entendu et compris du plus grand nombre et, à cette fin, ne pas hésiter à ressasser et à radoter. Principe sommaire, mais efficace dont Céline, aiguillé par son éditeur, n'allait pas tarder à comprendre l'importance.

La campagne de presse qu'il va dès lors mener en vue de reconquérir sa célébrité d'antan aura deux objets principaux : d'une part, expliquer, définir sa démarche artistique et en montrer la cohérence ; d'autre part, dresser un autoportrait et une autobiographie sinon flatteurs, du moins aptes à engendrer l'indulgence, voire la commisération des foules non prévenues. Pour ce qui est du premier point, paraissent, en 1955, les Entretiens avec le Professeur Y. Là, sous la forme d'une interview imaginaire, Céline résume, de façon fréquemment métaphorique, le projet d'ensemble de son œuvre, à savoir : restituer l'émotion, l'affectivité du langage parlé dans le langage écrit avec tout ce que cela comporte de subversion et de violation de la syntaxe française habituelle (il aura l'occasion, ici et là, de détailler tel ou tel aspect de son style : le rôle des points de suspension, l'utilisation de l'argot...).

Par ailleurs, en ce qui concerne sa personnalité et sa vie, Céline ne cessera, à qui voudra bien l'entendre, de se présenter en victime : enfant martyr, apprenti exploité, jeune chair à canon, autodidacte besogneux, ancien combattant meurtri par l'ingratitude de ses compatriotes, vieux mutilé de guerre contraint d'écrire pour gagner sa vie, tels sont les thèmes de l'immuable scénario que Céline, brouillant les cartes, estompant les faits délicats, occultant des pans entiers de sa vie, distillera pendant dix ans, matois mais convaincu, à ses interlocuteurs.

Toute peine méritant salaire, Céline revient peu à peu aux premiers rangs. Ses[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Philippe DULAC et Universalis. CÉLINE LOUIS-FERDINAND (1894-1961) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • D'UN CHÂTEAU L'AUTRE, Louis-Ferdinand Céline - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 568 mots

    De retour de son exil danois, à la suite de son amnistie, en 1951, Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) publie successivement deux romans, Féérie pour une autre fois (1952) et Féérie pour une autre fois II: Normance(1954), qui se révèlent des échecs critiques et commerciaux. Après la parenthèse...

  • MORT À CRÉDIT, Louis-Ferdinand Céline - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 165 mots
    • 1 média

    Paru en mai 1936, Mort à crédit est le deuxième roman de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961). Quatre ans plus tôt, ce médecin de banlieue, tard venu à l'écriture, avait créé l'événement littéraire avec Voyage au bout de la nuit. Ce livre coup de poing, d'une rare violence de ton...

  • VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT, Louis-Ferdinand Céline - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 070 mots
    • 1 média

    Lancé en 1932 par le jeune éditeur Denoël, Voyage au bout de la nuit eut aussitôt sur la vie littéraire française l'impact d'une météorite et laissa la critique abasourdie. Ce gros roman touffu, témoignant d'une rare maîtrise d'écriture était l'œuvre d'un écrivain inconnu, n'ayant encore rien publié...

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

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    • 7 278 mots
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  • PASSAGES, architecture

    • Écrit par Jean-François POIRIER
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    ...disparition prochaine. « C'est aujourd'hui seulement, écrit Aragon, que la pioche les menace, qu'ils sont devenus les sanctuaires d'un culte de l'éphémère. » Dans Mort à crédit, Louis-Ferdinand Céline, dont la mère réparait des dentelles dans le passage Choiseul, dépeint le passage comme un lieu infect, malsain,...
  • ROMAN - Roman et société

    • Écrit par Michel ZÉRAFFA
    • 6 697 mots
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    ...matricules » et où règnent le conformisme et l'anonymat. Chacun à leur manière, et en fonction des groupes qu'ils peuvent étudier, Virginia Woolf, Bernanos, Céline ne recueillent et ne transcrivent des langages particuliers qu'afin de dévoiler à quel point la communication est absente des rapports humains....
  • VITOUX FRÉDÉRIC (1944- )

    • Écrit par Véronique HOTTE
    • 731 mots

    La mémoire familiale joue un rôle particulièrement important dans l'œuvre de Frédéric Vitoux ; aussi se doit-on d'évoquer d'emblée les origines de cet écrivain, né à Vitry-aux-Loges (Loiret) le 19 août 1944, fils de Pierre Vitoux, journaliste au Petit Parisien, condamné...

Voir aussi