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BRONTË LES

L'œuvre des sœurs Brontë offre le fascinant exemple d'un texte littéraire voué à la méconnaissance par la puissance même de la mythologie qui a fait sa célébrité. Il est peu de sujets que la critique anglo-saxonne ait abordés depuis un siècle avec un tel luxe d'érudition, d'amour et de curiosité ; il n'en est pas dont elle ait obscurci pareillement le sens. On en jugera d'après le seul fait qu'il n'existe aujourd'hui en langue anglaise aucune édition intégrale d'une œuvre entre toutes commentée, qui compte, comme celles de Dickens, Scott ou Byron, parmi les classiques de la langue et de la sensibilité nationales.

Un « refoulement culturel »

Cette situation paradoxale s'explique par un phénomène tout à fait remarquable de « refoulement culturel » : la critique anglo-saxonne refuse, en effet, de considérer à la place logique qui leur revient de droit l'ensemble des textes élaborés en commun depuis l'enfance par Charlotte, Patrick Branwell, Anne et Emily Brontë. Ces textes, qui excèdent en volume l'ensemble de l'œuvre romanesque des trois sœurs, constituent un témoignage absolument unique : ils permettent en effet de saisir à sa source la démarche de l'imagination créatrice à travers l'enfance et l'adolescence ; ils éclairent d'autre part l'œuvre publiée qui s'y réfléchit tout entière. Les commentaires qui exaltent cette image de la création enfantine dans la famille d'écrivains la plus extraordinaire de l'histoire littéraire refusent cependant d'en reconnaître tous les signes à leur juste valeur.

Ce refus demande à être analysé comme un symptôme : il répond parfaitement à l'idée romantique et bourgeoise de la littérature, qui trouve dans les illusions du réalisme biographique et son corollaire idéaliste du « mystère de l'œuvre » la raison de ses limites comme de ses répétitions. On comprendra que la critique traditionnelle redouble ses effets devant une œuvre où se révèlent de façon privilégiée les mécanismes logiques de la création littéraire, sitôt qu'on accepte de la lire comme un seul texte à plusieurs voix, dans les perspectives ouvertes par l'analyse structurale, freudienne et linguistique. En fait, l'idéalisme critique garantit ainsi le capital intellectuel et sentimental investi depuis plus d'un siècle dans la somme fabuleuse de ses commentaires, qui tournent tous autour du mythe sans jamais l'affronter résolument. C'est pourquoi toute évocation exacte de l'œuvre des quatre enfants Brontë doit commencer par la destruction d'une image culturelle où la puissance de l'idéologie se mesure à celle de l'autocensure implicite qui pèse sur la diffusion d'une très grande part des textes et limite ainsi l'interprétation qui demande à les saisir tous d'un seul tenant.

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Pour citer cet article

Raymond BELLOUR. BRONTË LES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Les Sœurs Brontë</em>, P. B. Brontë - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Les Sœurs Brontë, P. B. Brontë

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...Zola avec Charles Reade (1814-1884), ou bien continuent à décrire la province, à la suite de Jane Austen, comme Mrs. E. C. Gaskell (1810-1865). Le cas des sœurs Brontë (Charlotte, 1816-1855 ; Emily, 1818-1848, et Anne, 1820-1849), surtout d'Emily, est si unique dans la littérature victorienne...
  • GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA

    • Écrit par Gilles MENEGALDO
    • 6 313 mots
    • 5 médias
    L'Angleterre victorienne n'a pas renié, malgré l'orientation réaliste de sa littérature, la tradition gothique. Il y a dans WutheringHeights (1847) d’Emily Brontë des doigts glacés qui cognent aux vitres, une lande sinistre et un héros noir byronien (Heathcliff) ; dans Jane Eyre (1847), de...
  • LES HAUTS DE HURLEVENT, Emily Brontë - Fiche de lecture

    • Écrit par Claire BAZIN
    • 1 012 mots
    • 1 média

    Emily Brontë, née en 1818, est la fille du révérend Patrick Brontë. Comme ses sœurs, elle manifeste très tôt un goût prononcé pour l'écriture, s'associant avec la plus jeune, Anne, pour créer le royaume imaginaire de Gondal. Plus qu'aucune autre de ses sœurs, Emily est passionnément attachée à la...

  • JANE EYRE, Charlotte Brontë - Fiche de lecture

    • Écrit par Claire BAZIN
    • 889 mots
    • 1 média

    Charlotte Brontë (1816-1855) est la troisième fille de Patrick Brontë, pasteur de Haworth, et de Maria Branwell, qui disparaît très tôt, laissant les six enfants à la charge de leur père et de Miss Branwell, leur tante aux stricts principes méthodistes. Très jeune, Charlotte Brontë s'adonne à l'écriture...

Voir aussi