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MANKIEWICZ JOSEPH LEO (1909-1993)

Le monde est une scène

Nombre de films de Joseph Mankiewicz ont d'ailleurs à voir avec le théâtre. Quand le scénario n'adapte pas une pièce (Appley, Escape, People, Caesar, Guys, Suddenly, Honey, Sleuth), il peut s'en inspirer (Cleopatra,), placer son récit dans le milieu du spectacle (Ève) ou encore s'y référer (Letter, American). Toutefois, d'origine théâtrale ou non, la grande majorité des films voient leur action située pour l'essentiel à huis clos, ou bien circonscrite à quelques intérieurs. Les extérieurs sont rares ; ils se limitent généralement à un « plan de situation », pour identifier le lieu où se rend le personnage, ou bien à un plan de transition, afin de spécifier le déplacement d'un personnage d'un lieu à un autre. Même lorsque l'action évolue dans des endroits multiples, la notion d'enfermement subsiste, comme si les protagonistes ne pouvaient s'échapper, ainsi que le souligne le titre No Way Out (littéralement « sans issue »). Il est symptomatique que l'action du seul western que le réalisateur ait signé se tienne dans l'enceinte d'un pénitencier.

En fait, la plupart des films de Joseph Mankiewicz pourraient être montés sur scène. Du moins, en donnent-ils l'impression, impression que renforce la quasi-absence de la notion de hors champ, nonobstant quelques sons off, comme si, de l'autre côté des murs où se tient l'action, il n'y avait rien d'autre que les coulisses. Son cinéma n'en est pas pour autant du théâtre filmé.

L'écriture filmique de Joseph Mankiewicz, aussi rigoureuse que sa dramaturgie, n'a certes pas l'évidence de celle d'un John Ford ou d'un Howard Hawks, ou le lyrisme de celle d'un Anthony Mann ou d'un Vincente Minnelli. Son découpage, qui n'a que très rarement recours au champ-contre-champ, est d'une grande précision, multipliant les angles de prise de vue et les valeurs de plan. Les mouvements d'appareil sont nombreux. La mise en scène elle-même s'exerce soit sur la profondeur de champ dans la fixité du cadre, avec parfois un recadrage en travelling ou en panoramique, soit sur la mobilité du cadre avec une caméra qui épouse les mouvements des personnages, comme si elle était leur ombre. Si bien que l'abondance et la fonction du dialogue distrayant l'attention, le travail à la caméra, « dicté par le contenu dramatique de la scène et par l'effet qu'elle aura sur le public », semble inexistant. Il est pourtant vital, tant pour l'atmosphère que pour les rapports entre les personnages qui évoluent dans un espace relatif et aléatoire, constamment remodelé.

En outre, la narration repose souvent sur des procédés propres à la narration cinématographique, tel l'arrêt sur image, l'image subliminale, et, surtout, le flash-back. Six films possèdent une structure en flash-back, dont trois multiplient les points de vue, un septième y a longuement recours, et plusieurs dont le récit est linéaire comportent un élément qui suppose malgré tout un retour arrière : ainsi du commentaire à la Chambre des lords qui ouvre Fingers et des fresques abîmées qui se « restaurent » d'elles-mêmes dans Cleopâtre.

Si le cinéma de Joseph Mankiewicz se réfère en permanence au théâtre, c'est que celui-ci est bien au cœur de sa vision du monde. Les personnages de ses films appartiennent à la race des acteurs, des scénaristes et des metteurs en scène. Ils jouent des rôles, échafaudent des récits complexes, édifient des mises en scène savantes pour servir leurs intérêts, de quelque ordre qu'ils soient, nobles ou crapuleux. Ils sont donc amenés à mentir, à mener un double jeu, à se livrer à des manipulations. Dans cette perspective, la parole revêt une importance essentielle. Ce sont généralement des gens intelligents et cultivés qui connaissent la valeur[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, professeur d'histoire du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Alain GAREL. MANKIEWICZ JOSEPH LEO (1909-1993) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Eve, J. L. Mankiewicz - crédits : 20Th Century-Fox/ Getty Images

Eve, J. L. Mankiewicz

Elizabeth Taylor et Montgomery Clift - crédits : 1960 Columbia Pictures Corporation/ Collection privée

Elizabeth Taylor et Montgomery Clift

Autres références

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ...l'argent, entre le réalisateur (director) et la hiérarchie financière de la compagnie, est souvent un homme de goût, voire de talent : Joseph L.  Mankiewicz, par exemple, le futur réalisateur de Chaînes conjugales (A Letter to ThreeWives, 1948), et de La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot Contessa...
  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 5 126 mots
    • 18 médias
    ...ouvertures : Howard Hawks fondait directement sur la sexualité et l'argent les deux thèmes « refoulés » du genre, son Gentlemen Prefer Blondes (1953) ; Joseph L. Mankiewicz mêlait à la comédie musicale le film noir et sa violence dans Guys and Dolls (Blanches Colombes et vilains messieurs, 1955) ;...
  • DAVIS BETTE (1908-1989)

    • Écrit par André-Charles COHEN
    • 1 161 mots
    • 5 médias
    ...contrat avec la Warner après avoir tourné Beyond the Forest (La Garce, 1949) – qui n'eut pas le succès escompté – pour King Vidor. En 1950, Joseph Mankiewicz la dirige dans All about Eve ; le rôle de Margo Channing, la star de théâtre, est celui auquel on l'identifie le plus volontiers : verbe...
  • GARDNER AVA (1922-1990)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 1 643 mots
    • 1 média
    ...Cardiff qui, dans la même admirable palette, la photographie pour son rôle le plus mythique, The Barefoot Contessa (La Comtesse aux pieds nus, 1954) de Joseph L. Mankiewicz : elle y interprète Maria Vargas, danseuse de flamenco dans les bouges madrilènes, qui devient Maria d'Amata, star de cinéma hollywoodien....
  • Afficher les 7 références

Voir aussi