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ROUSSEAU HENRI (1844-1910)

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Un naïf consacré par l'avant-garde

Contemporain des impressionnistes, Rousseau aime à peindre des paysages observés sur le vif. Mais, loin de posséder leur science, il improvise, et, dans cette improvisation totale du métier, ses dons de coloriste chaque fois l'emportent. Parallèlement, une certaine maladresse perce, due à son désir d'inscrire dans son tableau la réalité telle qu'il la voit sans recourir à des formes conventionnelles. Cette invention plastique constante, jointe à la justesse chromatique, confère à sa peinture une fraîcheur particulière, et aussi son caractère inimitable. Un exemple caractéristique de la première période de son œuvre serait un paysage comme L'Octroi (Courtauld Institute, Londres), peint autour de 1890, très harmonieusement construit à partir de quelques formes simples, si bien que la maladresse graphique propre à l'autodidacte disparaît en entier. En revanche, elle émerge dès que Rousseau s'attache à faire un portrait. Il suffit pour s'en convaincre de regarder son célèbre autoportrait : Moi-même. Portrait-paysage (Musée national de Prague), daté de 1890. La difficulté de camper le personnage dans l'espace est pour Rousseau insurmontable : il ignore les règles de la perspective, que n'importe quel élève des Beaux-Arts connaît, et là aussi il improvise. Mais l'absence de rigueur dans la structure de l'espace rend bizarre son réalisme. Elle introduit, tout au long de sa carrière, une différence irréductible entre lui et les autres peintres.

<it>Jeune Fille à la poupée</it>, H. Rousseau - crédits : AKG-images

Jeune Fille à la poupée, H. Rousseau

<it>Moi-même. Portrait-paysage</it>, H. Rousseau - crédits :  Bridgeman Images

Moi-même. Portrait-paysage, H. Rousseau

<em>Portrait de Monsieur X</em><em> (Pierre Loti)</em>, H. Rousseau - crédits : Photo Josse/ Leemage/ Corbis historical/ Getty Images

Portrait de Monsieur X (Pierre Loti), H. Rousseau

C'est sans doute ce côté bizarre de sa peinture qui a provoqué l'intérêt d' Alfred Jarry. On situe leur rencontre en 1893, l'année où Rousseau a pris sa retraite. Originaires de Laval l'un et l'autre, ils se lient d'amitié malgré la différence d'âge. Jarry fait connaître la peinture de Rousseau dans les milieux du Mercure de France, et c'est dans Le Mercure (mars 1895) que paraîtra le premier article important sur lui, faisant les éloges de La Guerre, exposée aux Indépendants de 1894. Cet étrange tableau, un des plus ambitieux de son œuvre, révèle en effet chez Rousseau une surprenante force d'imagination. Pourtant, malgré les éloges reçus, le silence se fait de nouveau sur sa peinture. On parle à peine de lui dans les journaux qui rendent compte du Salon des indépendants, où il continue d'exposer tous les ans des paysages, des portraits (vraisemblablement des commandes) et aussi les tableaux qu'il appelait « créations », dont La Bohémienne endormie, exposée en 1897, est un exemple parfait. Inspirée d'un tableau de Gérôme, cette insolite composition révèle l'admiration que le Douanier avait pour les peintres académiques, Bouguereau en particulier. Ils représentaient son idéal en matière de peinture, et, dans sa naïveté, il croyait qu'il était capable de les imiter. Ainsi trouvait-il cette assurance qui l'avait poussé à écrire au maire de Laval, sa ville natale, pour lui proposer, mais en vain, l'achat de La Bohémienne endormie.

La gloire que Rousseau attendait du côté officiel vint pour lui – dernier trait de son étrange destin – du côté opposé : c'est l' avant-garde parisienne qui le fit sortir de l'ombre. Invité au Salon d'automne de 1905, son grand tableau Le Lion ayant faim (coll. particulière, Suisse) est placé dans la salle des Fauves. C'est le premier paysage exotique que Rousseau expose, et ses qualités retiennent l'attention des critiques. Vollard se décide à lui acheter des tableaux. Sa vie change. Dans son modeste atelier de Plaisance, il commence à donner des soirées « familiales et artistiques », où les petites gens de son quartier côtoient l'avant-garde parisienne. En 1908, Picasso, qui vient d'acheter chez un brocanteur un tableau de Rousseau, organise dans son atelier du [...]

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Pour citer cet article

Dora VALLIER. ROUSSEAU HENRI (1844-1910) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Portrait d'Apollinaire et de Marie Laurencin, H. Rousseau - crédits : Godong/ Universal Images Group/ Getty Images

Portrait d'Apollinaire et de Marie Laurencin, H. Rousseau

<it><em>La Guerre</em></it>, H. Rousseau - crédits :  Bridgeman Images

La Guerre, H. Rousseau

<it>La Charmeuse de serpents</it>, H. Rousseau - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

La Charmeuse de serpents, H. Rousseau

Autres références

  • NAÏF ART

    • Écrit par
    • 2 894 mots
    • 2 médias
    ...septuagénaires aux yeux d'enfant ! Il n'y a pas ombre de méchanceté dans leur cœur ni dans leur œuvre. Que l'on observe le cas du mieux connu d'entre eux, Henri Rousseau : il n'a jamais pu comprendre quoi que ce fût à la moquerie parce que toute forme de médiocrité lui était étrangère. À celui qui l'a peut-être...
  • BATEAU-LAVOIR LE

    • Écrit par
    • 707 mots
    • 2 médias

    Situé sur une petite place, au niveau du numéro 13 de la rue de Ravignan à Paris, constitué par un amas hétéroclite de poutres, de planches et de verrières, qu'aucune compagnie ne consentit jamais à assurer contre les risques d'incendie, cet étrange ensemble d'ateliers vétustes et obscurs appartient...

  • UHDE WILHELM (1874-1947)

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    Il n'est sans doute pas un collectionneur qui aujourd'hui ne rêve d'avoir la chance et le flair de cet « autodidacte ». D'origine allemande, fixé en France en 1903, Wilhelm Uhde découvre immédiatement le Douanier Rousseau, sur lequel il sera le premier à écrire un livre : ...