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ESTHÉTIQUE Esthétique et philosophie

L'esthétique objectiviste

Psychologie et poïétique

Objectiviste, cela peut s'entendre en deux sens, selon qu'on met l'accent sur l'objet ou sur l'objectivité. Revendiquer l'objectivité, c'est le propre des sciences positives. Et le prestige du positivisme a été assez grand au début du xxe siècle, et même plus tard, lorsque le positivisme a pris le nouveau visage du positivisme logique et du structuralisme, pour que l'esthétique ait réclamé la dignité d'une science. Ainsi la Kunstwissenschaft s'est-elle opposée à l'Ästhetik. Le conflit s'est généralement apaisé dans une sorte de coexistence pacifique. Mais nous verrons bientôt que le problème ne se résout au fond que par l'élaboration d'une science nouvelle, qui peut prendre des noms divers, et qui, plus soucieuse de l'objet que de l'objectivité, ou du savoir que de la scientificité, ne se soucie guère de revendiquer expressément le titre de science.

Les premières œuvres qui se réclament de la science de l'art, comme celles d'Utitz et de Dessoir, sont bien plus philosophiques que scientifiques ; elles reprennent d'ailleurs très largement les thèmes et les problèmes de l'Ästhetik, et ne s'en distinguent que par la part plus grande qu'elles font à l'étude de l'objet. Dessoir pourtant accuse la spécificité de la science de l'art en reprenant, après bien d'autres depuis Fechner, l'étude expérimentale de l'expérience esthétique. Aujourd'hui encore l'esthétique expérimentale ne cesse de solliciter les chercheurs, tel Robert Francès, qui était vice-président d'une Association internationale d'esthétique expérimentale fondée en 1965, implantée et active dans de très nombreux pays. Mais cette esthétique, comme déjà Lipps l'objectait à Külpe, semble n'étudier que ce qui est pré-esthétique : les conditions psychophysiologiques ou sociologiques de l'expérience esthétique plutôt que cette expérience elle-même. Sans doute d'ailleurs le reconnaît-elle : elle se veut « psychologie de l'esthétique » – c'est le titre d'un livre de Francès –, et non point esthétique à part entière. L'esthétique positive peut aussi se vouloir histoire, ou sociologie : là encore, plutôt que de l'objet même, elle est tentée de se vouer à l'étude des circonstances qui déterminent sa production ou sa consommation. Son approche de l'objet, si légitime et féconde qu'elle soit, reste alors une démarche indirecte : le souci de l'objectivité, s'il suscite le recours à des concepts et des procédures qui ont fait leurs preuves ailleurs, ne recommande pas autant l'abord direct de l'objet, qui impose d'élaborer une science ad hoc plutôt qu'une « science générale de l'art » ou des sciences de l'art.

En fait, cette approche est opérée par ce qu'on appelle quelquefois commodément le formalisme, c'est-à-dire l'analyse formelle des œuvres. Sous cette étiquette, on peut grouper des noms et des écoles bien divers. Évoquons seulement l'école de la Sichtbarkeit, la théorie de la littérature des groupes russe et russo-tchèque, le new criticism américain, les historiens du cercle de Warburg, les tentatives de la sémiologie. On fait ici, du moins provisoirement, l'économie de discours généraux sur l'expérience esthétique ou sur le beau ; on se met en face d'œuvres – sans s'interroger sur ce « on » qui n'est jamais anonyme –, et on se demande ce qu'elles sont, comme on peut se le demander d'un caillou, d'un nuage ou d'une bactérie ; on s'interroge sur leur être et non sur leur valeur, en présupposant peut-être que la valeur est constitutive de l'être, puisque ces œuvres sont faites pour produire un certain effet. Car elles sont [...]

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Pour citer cet article

Mikel DUFRENNE. ESTHÉTIQUE - Esthétique et philosophie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ABSTRAIT ART

    • Écrit par Denys RIOUT
    • 6 716 mots
    • 2 médias
    ...le moins qu'on puisse dire, acceptée d'emblée. La pomme de discorde entre ses contempteurs et ses thuriféraires relève d'un différend ontologique : l' art en général – et la peinture en particulier – est-il par essence, comme toute la pensée occidentale depuis Aristote l'avait jusqu'alors expliqué, lié...
  • AISTHESIS (J. Rancière) - Fiche de lecture

    • Écrit par Gilles QUINSAT
    • 1 073 mots

    En 1946, Erich Auerbach publiait Mimésis, un essai qui fit date. Comme le précisait son sous-titre, l'ouvrage se proposait de décrire l'évolution de « la représentation de la réalité dans la littérature occidentale », de l'Odyssée d'Homère à La Promenade au phare de...

  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias

    On définit généralement l'allégorie en la comparant au symbole, dont elle est le développement logique, systématique et détaillé. Ainsi, dans la poésie lyrique, l'image de la rose apparaît souvent comme le symbole de la beauté, de la pureté ou de l'amour ; Guillaume de Lorris en...

  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 454 mots
    ...amoureuse du Roman de la Rose (xiiie siècle), ou celle guerrière et chevaleresque des romans arthuriens. Cette prolifération du sens se retrouve dans l'esthétiquebaroque, mais elle semble s'y fixer en codes, comme on le voit dans l'Iconologie de Cesare Ripa (1603), répertoire d'emblèmes,...
  • Afficher les 136 références

Voir aussi