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AUTOMOBILISME

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La conquête de la vitesse

Dès son premier élan, ou presque, l'automobile a atteint ce qu'en astronomie on appellerait la vitesse de libération, soit un arrachement durable à la pesanteur. Il se trouve en effet que la première conquête des véhicules à moteur que l'on appela tout de suite « automobile » – d'abord au masculin – fut celle d'une valeur abstraite qui, jusqu'alors, paraissait, au moins dans ses plus hautes performances, encore extérieure, et non incorporée aux hommes. Certes, avec le train, le choc avait déjà été intense par rapport aux vitesses « naturelles » mais la vitesse ferroviaire avait été d'emblée collective. Le matériel nécessaire différait également : avec le chemin de fer, l'encombrement du dispositif technique était maximum et incontrôlable par un individu seul. En revanche, comme le vélo, mais sans effort ou presque et apparemment à volonté, l'automobile rendait possible et même encourageait une forme de fantaisie, la modulation quasi instantanée de l'allure et les changements de direction, décisions relevant d'un libre-arbitre dont les rails interdisaient jusqu'à l'idée. Chez certains conducteurs apparut dans le même temps une sorte d'ethos chevaleresque qui, avant l'adoption des codes routiers – en 1921 en France – tint lieu de nouveau code moral.

« La force de l'automobile se lie très étroitement à l'âme qui l'inspire. Voilà précisément la merveille de l'invention » qui, selon Paul Adam (La Morale des sports, 1907), impliquait une nouvelle responsabilité morale. De la sorte naquit une esthétique de la conduite automobile dont Louis Baudry de Saunier établit les premières règles : « La vitesse est la majeure raison d'être de l'automobile, sa dominante fondamentale. Elle est au fond la seule commune mesure des automobiles entre elles. Mais il y a la vitesse grossière et la vitesse de qualité. Bien conduire, c'est n'employer jamais que la vitesse de qualité, celle qui ne met jamais à mal ou même en péril ni la machine, ni ce qu'elle porte, ni ce qu'elle croise ou dépasse. La vitesse de qualité résulte de nombreuses aptitudes dont il faut avoir de naissance au moins le germe, et qu'on développe par une pratique attentive, souvent même par de petites victoires sur des penchants de caractère défavorables. Bien conduire est donc un Art, qui presque toujours peut s'acquérir » (L'Art de bien conduire une automobile, 1933).

Nulle surprise, partant de ce constat élitiste, à ce qu'une certaine avant-garde artistique se soit emparé du motif automobile pour procéder à sa transfiguration. Avec une violence annonciatrice de celle qui se déchaînera lors du premier conflit mondial, les futuristes, Filippo Marinetti en tête, perçurent dans le nouveau véhicule un instrument propice au déploiement de l'hybris individualiste. Les points 4 et 5 du Manifeste du futurisme publié en 1909 sont à cet égard particulièrement explicites : « Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosive... une automobile rugissante qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace », et « Nous voulons chanter l'homme qui tient le volant dont la tige idéale traverse la Terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite ».

Les effets de cette séduction se retrouvent également dans un autre registre, moins brutalisant, celui plus intimiste d'un Marcel Proust par exemple qui confessa sa passion pour l'auto ressentie comme un instrument susceptible de susciter des sentiments inédits dans la recherche d'une destination : « Cet emplacement, point unique que l'automobile[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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Mathieu FLONNEAU. AUTOMOBILISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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