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ANTHROPOMORPHISME

Extension de la forme humaine à des domaines non humains

En son sens usuel, l'anthropomorphisme signifie l'utilisation d'attributs humains pour représenter ou expliquer ce qui est autre que l'homme. Il est clair que le procédé n'aura pas même signification ni même valeur suivant les diverses natures possibles de cet « autre chose que l'homme ».

Mais point n'est besoin de quitter l'humanité pour voir se déployer le jeu de la pensée anthropomorphique ; il semble, en effet, que certaines représentations que l'homme se donne de lui-même, par exemple de sa genèse et de son développement, ou encore certaines doctrines sociales ou politiques s'articulent selon un schéma anthropomorphique particulier. Il arrive que la projection anthropomorphique relaye le schème préformatif de la genèse de l'homme. C'est un homoncule qui est figuré au cœur de la goutte séminale, dans un grossissement fictif. On ne saurait nier que le même phénomène entre dans les représentations de l'enfance, picturales avant Raphaël, pédagogiques avant Rousseau ; ni que la précellence de la forme humaine ne s'étende aussi à toutes les représentations d'êtres supérieurs : « Nous ne pouvons concevoir, dit Kant, de caractère plus noble et supérieur aux humains que selon la forme humaine » (Sur Swendenborg). Non seulement toute autre forme nous paraît caricaturale, mais il est remarquable que, si la figuration adéquate du spirituel emprunte la physionomie humaine, c'est en effet la forme humaine qui réconcilie et manifeste dans leur unité le sens et le sensible. « Entre les animaux et l'homme, il y a cette différence essentielle, note Hegel, que la forme humaine paraît être non seulement le siège, mais la seule manifestation naturelle de l'esprit. »

Il est d'autres cas encore où la pensée agrée systématiquement la métaphore anthropomorphique : les conceptions organicistes du social, de Machiavel à Spencer, les correspondances axiologiques de l'âme à la cité (Platon, La République), les relations entre États appréhendés sur le mode des relations humaines individuelles, enfin la justification d'une hiérarchie « naturelle » de l'homme à l'animal, de l'homme à la femme, du maître à l'esclave se trouve, semble-t-il, dans la structure de subordination du corps à l'âme (Aristote, Politique, liv. I) sans que l'on sache en fait, dans tous les cas, où est l'image et où le paradigme.

Le plus souvent, le domaine concerné, nature ou dieux, est tout à fait étranger à l'homme. C'est alors qu'il se trouve dénoncé avec le plus de force, semble-t-il, dans un mouvement proche de ce que Bachelard nommera une « psychanalyse de la connaissance » dirigée contre l'« obstacle épistémologique ».

Mais il n'en fut pas toujours ainsi. Saint Grégoire écrit : « L'homme possède en lui quelque élément de toute créature. En effet, être lui est commun avec les pierres, vivre lui est commun avec les arbres, sentir lui est commun avec les animaux, comprendre lui est commun avec les anges. Si l'homme a quelque chose de commun avec toute créature, sous un certain rapport, toute créature est homme. » Certes, seul le semblable comprend le semblable, et l'homme est le résumé de la Création ; ainsi se trouve fondée l'intelligibilité du monde, tandis que saint Grégoire pouvait conclure que l'Évangile était prêché à toute créature s'il l'était à l'homme seul. C'est un schème analogue, légèrement différent, non plus celui de la communauté de genre, mais celui des correspondances, qu'utilise Albert le Grand dans son Introduction aux admirables secrets : « L'homme est ce qu'il y a de meilleur dans le monde, parce qu'il y a une communication et une grande sympathie entre lui et les[...]

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Écrit par

  • : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes

Classification

Pour citer cet article

Françoise ARMENGAUD. ANTHROPOMORPHISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Metropolis, Fritz Lang - crédits : Horst von Harbou/ Stiftung Deutsche Kinemathek/ AKG-images

Metropolis, Fritz Lang

Autres références

  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias
    ...l'allégorie. Il prolonge une attitude primitive ou fondamentale de la pensée religieuse qui représente les forces naturelles par des divinités plus ou moins anthropomorphiques. En tout cas, à l'époque de Stace, on voit des entités morales comme Virtus, Clementia, Pietas, Natura jouer un rôle aussi important...
  • BOUDDHISME (Arts et architecture) - Représentations du Buddha

    • Écrit par Bruno DAGENS
    • 2 842 mots
    • 8 médias
    Le Buddha est dès le départ figuré sous une forme parfaitement anthropomorphe, à quelques détails près sur lesquels on reviendra ; ce choix est définitif et concerne aussi bien le Buddha historique que tous les Buddha mythiques figurés à son image, ceux qui l'ont précédé comme les innombrables Buddha...
  • ÉGYPTE ANTIQUE (Civilisation) - La religion

    • Écrit par Jean VERCOUTTER
    • 11 389 mots
    • 24 médias
    ...cobra, sycomore, lotus, flèches, etc. Remarquons toutefois que, malgré leur origine animale ou végétale, toutes ces divinités ont un aspect humain. L' anthropomorphisme apparut très tôt et les artistes égyptiens ont su adapter harmonieusement une tête animale à un corps masculin ou féminin. Lorsque la...
  • ÉGYPTE DES PHARAONS (notions de base)

    • Écrit par Universalis
    • 3 525 mots
    • 11 médias
    ...fondé sur une conception magique du sacré où les puissances de l’Univers sont symbolisées et incarnées par des éléments de la nature : animaux ou végétaux.Ces divinités primitives, s’humanisent progressivement et sont à l’origine d’un panthéon constitué d’êtres hybrides anthropomorphes.
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Voir aussi