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ANCIEN RÉGIME

La résistance des structures anciennes

Un agrégat de nations

Mais, précisément, la nouveauté, la hardiesse des conceptions des premiers commis et de leurs émules est constamment mise en échec par l'ensemble de la structure étatique et sociale de l'Ancien Régime. Suivant un mot célèbre, la France reste un « agrégat de nations » aux originalités mieux maintenues qu'on ne l'imagine. Les réalités provinciales gardent tout leur poids. Certes, Paris, ou Versailles, l'uniformatrice, vilipendée, honnie et pourtant enviée, impose de plus en plus ses hommes, ses idées, ses théories et, fait plus important encore, toutes ses modes. Au fur et à mesure que, le long des routes royales, la pratique courante de la langue française, telle que l'a fixée la grande révolution linguistique des années 1620-1630, progresse dans le midi, l'ouest et l'est du pays, les cultures provinciales s'estompent. La Lorraine, d'ailleurs politiquement « indépendante », conserve encore au xviie siècle sa propre école de peinture, avec Georges de La Tour et le Lorrain. Mais déjà le succès de l'un est dû, pour une bonne part, à Louis XIII, et l'autre réside en Italie. Au xviiie siècle, l'urbanisme des grands intendants impose à l'ensemble de la France l'école architecturale parisienne, en particulier celle de la famille Gabriel. Cependant, en dépit (ou parfois à cause) de cette centralisation volontaire et spontanée, la province réagit. Les états de Bretagne en viennent à créer une administration parallèle, faute de pouvoir empêcher l'évolution. Du moins arrive-t-elle à enlever l'essentiel de ses pouvoirs à l'intendant, qui finit par n'être plus qu'un agent de renseignement et de négociation. Certes, cela est un cas limite ; mais, à certains égards, les révolutions municipales de 1789, le morcellement du territoire en départements (quelles que soient les très évidentes raisons d'ordre pratique qui le justifient) sont la manifestation, assez frappante, du désir de reprendre en partie le contrôle de l'administration locale, au profit de la bourgeoisie (mais sur ce point, celle-ci est pleinement d'accord, dans ses objectifs profonds, avec l'aristocratie). C'est, en fait, un retour en arrière. Les esprits, même les meilleurs, n'étaient pas prêts à admettre l'envahissement étatique. Cela d'autant moins que la monarchie du xviiie siècle, si elle n'abandonne pas toutes les contraintes du mercantilisme, laisse toutefois à la bourgeoisie une large liberté économique, sans cesse grandissante, et qui contraste avec les tentatives d'interventionnisme d'un Laffemas ou de ses disciples Richelieu et Colbert.

Privilèges sociaux et provinciaux paralysent l'administration. Théoriquement, le Contrôle général dispose dès les années 1730-1740 de toutes les données concernant les conversions des divers instruments de mesure utilisés dans les provinces. On eût donc pu songer à les unifier. Sans doute l'état d'avancement de la science ne permet-il pas encore à cette date d'envisager quelque chose qui ressemble au système métrique. Plus prosaïquement, la royauté ne réussit pas à supprimer tous les péages internes, alors que le tsarisme réussit parfaitement dans cette tâche.

La complexité administrative

L'Ancien Régime se définit donc – c'est par là que commencent nos manuels du secondaire – par une extraordinaire complexité, faite de chevauchements administratifs parfois inextricables, tel le foisonnement des tribunaux qui permet, à la limite, au plaideur habile de se choisir le tribunal d'espèce dont il peut espérer la sentence favorable. Tout cela est vrai, et souvent bien plus qu'on ne l'imagine. Il n'est guère de loi, même récente, qui soit vraiment valable dans tout le royaume, tant les particularismes des coutumes et[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Rennes

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Pour citer cet article

Jean MEYER. ANCIEN RÉGIME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Entrée solennelle de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras</it>, A. F. van der Meulen - crédits : A. F. van der Meulen/  Bridgeman Images

Entrée solennelle de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras, A. F. van der Meulen

Le cardinal Mazarin - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Le cardinal Mazarin

Le Dénombrement de Bethléem, Pieter Bruegel l'Ancien (bois, Musées royaux des beaux-arts, Bruxelles). - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Le Dénombrement de Bethléem, Pieter Bruegel l'Ancien (bois, Musées royaux des beaux-arts, Bruxelles).

Autres références

  • ABSOLUTISME

    • Écrit par Jacques ELLUL
    • 4 286 mots

    Comme tous les concepts à plusieurs dimensions (ici politique, historique, juridique, doctrinal), le concept d'absolutisme est assez flou. Son étude présente trois sortes de difficultés portant sur l'objet lui-même.

    La première difficulté tient à ce que l'on désigne généralement par ce...

  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Architecture et société

    • Écrit par Antoine PICON
    • 5 782 mots
    ...la grandeur du prince, celle des premiers de ses sujets, puis le système descendant des conditions qui contribue à structurer les sociétés d'ordres d' Ancien Régime. « Les ordres sont dignités permanentes et attachées à la vie des hommes », écrit au début du xviie siècle le juriste Loiseau....
  • BAILLIAGES & SÉNÉCHAUSSÉES

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    • Écrit par Pierre FRANTZ
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    L'audace politique de la trilogie de Figaro, et surtout celle du Mariage, n'a pas frappé que les contemporains (Danton disait qu'il avait « tué la noblesse »). C'est la valeur subversive de cette pièce qui l'a portée, contre toutes les hypocrisies de l'ordre politique et moral, à travers le ...
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