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WONG KAR-WAI (1958- )

L'errance amoureuse

Happy Together (1998) marque à la fois un renouvellement et une continuité : c'est une sorte de collage, sans véritable continuité spatio-temporelle, qui accompagne la relation amoureuse déchirée de deux hommes, interprétés par deux des plus grandes vedettes masculines locales, Tony Leung et Leslie Cheung. Le film s'ouvre avec une scène d'amour physique d'une provocante crudité, avant d'entraîner le spectateur dans un tango frénétique, dont la virtuosité mêle Hong Kong et l'Argentine (où est tournée une grande partie du film), le présent et le passé, les plans semi-documentaires et la visualisation onirique des fantasmes de ses personnages. Dans cette recherche presque sensorielle des effets, capital est le travail du chef opérateur habituel de Wong Kar-wai, l'Américain Christopher Doyle.

Après ce film quasi expérimental, Wong Kar-wai s'attelle à un projet ambitieux, qui deviendra In the Mood for Love (2000). Des trois intrigues entremêlées, à trois époques différentes, le cinéaste n'en conserve qu'une seule, mais le tournage s'étale sur quinze mois, en alternance avec celui de son film suivant, intitulé 2046 (2004), variation virtuose, en dialogue avec la science-fiction, sur les thèmes qui peuplent l'univers du cinéaste. In the Mood for Love raconte l'amour impossible de deux voisins, mariés chacun de son côté et trompés par leurs époux respectifs (qui n'apparaissent jamais à l'écran), dans le Hong Kong des années 1960 partiellement reconstitué à Bangkok. Au montage, Wong Kar-wai gomme le plus possible l'action dramatique, au profit de l'impression : ainsi, la relation des deux héros reste platonique, ce qui n'était pas prévu au départ. Du coup, la sublimation de leurs sentiments passe par le non-dit, ainsi que par un étonnant jeu de rôles, où chacun prend peu à peu la place du conjoint de l'autre. Une valse lente empruntée à un vieux film japonais, des mélodies surannées de Nat King Cole impriment leur rythme aux personnages comme à leur environnement : ces lancinants leitmotivs immortalisent la démarche chaloupée de Maggie Cheung dans ses robes de soie, les regards opaques de Tony Leung écartelé entre le désir et le secret, l'interminable rituel des repas et des gestes quotidiens. Ce bain de séduction flottante se termine par le plus désincarné des dénouements, dans les ruines du temple d'Angkor : le cinéma si envoûtant de Wong Kar-wai, en effet, a toujours recelé sa propre dénonciation.

Wong Kar-wai a également réalisé My Blueberry Nights (2007) et, surtout, The Grandmaster (2013), qui marque son retour à la dimension la plus personnelle de son œuvre.

— N.T. BINH

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Écrit par

  • : membre du comité de rédaction de la revue Positif, critique et producteur de films

Classification

Pour citer cet article

N.T. BINH. WONG KAR-WAI (1958- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • THE GRANDMASTER (Wong Kar-Wai)

    • Écrit par Pierre GRAS
    • 889 mots
    • 1 média

    Présenté à Berlin au début de 2013, The Grandmaster a marqué le retour très attendu de Wong Kar-wai qui, après son 2046 à la fois magistral et déconcertant (2004), n’avait pas retrouvé le succès public. Son court-métrage La Main (2005), intégré à l’inégal Eros comprenant également...

  • IN THE MOOD FOR LOVE, film de Wong Kar-wai

    • Écrit par Jacques AUMONT
    • 994 mots
    • 1 média

    Chungking Express (Chong qing sen lin) avait été récompensé à Locarno en 1994, Wong couronné meilleur réalisateur à Cannes en 1997 pour Happy Together (Cheun gwong tsa sit). À la différence d'autres réalisateurs hongkongais, c'est vers l'Europe qu'il se tourne pour s'internationaliser : ...

  • CHEUNG LESLIE (1956-2003)

    • Écrit par Universalis
    • 146 mots

    Acteur et chanteur de Hong Kong. De son vrai nom Cheung Kwok-Wing. Leslie Cheung, étudiant à Leeds, en Angleterre, gagne la célébrité dès son premier album de pop music, en 1981, intitulé The Wind Blows On. Il entame parallèlement une carrière d'acteur, jouant dans Le Syndicat du crime...

  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
    • 7 médias
    À Hong Kong, Wong Kar-wai, après ne nous avoir caché aucun détour charnel ou psychologique d'une relation homosexuelle (Happy Together, 1996), se fait le chantre d'une esthétique pudique et poétique avec In The Mood for Love(2000) : les corps nostalgiques – celui de Maggie Cheung en particulier...
  • HONG KONG CINÉMA DE

    • Écrit par Adrien GOMBEAUD, Charles TESSON
    • 2 952 mots
    • 2 médias
    Resté à Hong Kong avant, pendant et après la rétrocession, Wong Kar-wai, qui s’était fait connaître avec As Tears Go By (1988) et Nos Années sauvages (1990), fait désormais figure de patriarche. Après Happy Together (1997), film d’amour gay conçu comme une revendication de liberté en matière...