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JANKÉLÉVITCH VLADIMIR (1903-1985)

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Penser la musique

Il reste que l’homme est dépositaire d’un faire, qui doit s’actualiser dans la morale et peut rendre l’homme artiste. C’est à partir de cette transposition du faire moral humain dans le champ de l’esthétique, et plus particulièrement dans celui de la musique, que Jankélévitch livre de précieuses et nombreuses analyses. Ses écrits sur la musique constituent un massif conséquent de l’œuvre, à la fois indépendant du reste mais lié de manière ténue et essentielle au reste du corpus par la notion de faire, comme l’explique La Musique et l’ineffable (1961). Jankélévitch possède non seulement une sensibilité de mélomane, la technique du musicien, mais aussi la finesse d’analyse du musicologue. Il ne s’agit pas pour lui d’écrire sur la musique en général, mais plutôt de consacrer des monographies à ses compositeurs favoris, ce qu’il ne fait que rarement pour les philosophes – à l’exception de Schelling et Bergson. La musique apparaît alors comme une ressource philosophique trop inexploitée, non pas comme chez Schopenhauer, parce qu’elle donnerait un accès privilégié au réel, mais en tant que mode d’exposition du charme de l’être par un faire original. En effet, la musique est une expérience de la création qui tente de signifier par des notes évanescentes le mystère de l’être. Le panorama que Jankélévitch propose va des plus célèbres compositeurs romantiques (Liszt, Chopin, Rimski-Korsakov) et impressionnistes (Ravel, Debussy), à d’autres, certains plus confidentiels, qui excellent à reprendre les grands élans lyriques et les audaces coloristes de leurs devanciers (Satie, Fauré, Chabrier, Séverac, Gabriel Dupont). Mentionnons ses ouvrages principaux sur la musique : Gabriel Fauré et ses mélodies (1938), Maurice Ravel (1939), Debussy et le mystère (1949), Liszt et la rhapsodie. Essai sur la virtuosité (1979), La Présence lointaine. Albéniz, Séverac, Mompou (1983), auxquels s’ajoute le recueil posthume L’Enchantement musical (2017). Cet éclectisme le conduit à apprécier des formes musicales qui révèlent de manière idiomatique chaque face de la création.

La pensée de Jankélévitch s’est aussi peu accommodée des mouvements philosophiques du xxe siècle (phénoménologie, structuralisme, existentialisme) qu’elle n’en a généré. Peu nombreux sont les disciples qui ont prolongé son œuvre, à l’exception de quelques-uns de ses étudiants qui ont cultivé son souvenir davantage qu’ils n’ont approfondi son sillage philosophique. Cela tient d’abord au fait que cette œuvre est trop rarement appréhendée comme une œuvre philosophique organisée, complète et pleinement inscrite dans les débats de son temps. Cependant, il arrive que la pensée de la mort de Jankélévitch soit mobilisée dans le cadre des approches contemporaines de la fin de vie. D’autre part, ses prises de position publiques en particulier sur l’Allemagne nazie et sur l’imprescriptibilité des génocides rappellent à notre mémoire une histoire qui ne doit pas faire retour dans le présent. C’est donc à la fois de manière diffuse et essentielle que la philosophie de Jankélévitch nous reste incontournable.

— Pierre-Alban GUTKIN-GUINFOLLEAU

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Pierre-Alban GUTKIN-GUINFOLLEAU. JANKÉLÉVITCH VLADIMIR (1903-1985) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Vladimir Jankélévitch - crédits : Louis Monier/ Bridgeman Images

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