LÜTHI URS (1947- )
Originaire de Kriens, faubourg de Lucerne (Suisse), Urs Lüthi, né le 10 septembre 1947, est l’un des représentants les plus talentueux de la scène artistique helvétique contemporaine. Après des années de formation à l’école d’arts appliqués de Zurich (1963-1964), il travaille à partir de 1966 comme artiste indépendant. Sa carrière se déroule d’abord essentiellement en Suisse et en Allemagne où il occupe entre 1994 et 2013 une chaire d’enseignant à l’École supérieure d’art de Cassel. Il a représenté la Suisse à la Biennale de Venise en 2001 et a fait l’objet de plusieurs expositions et rétrospectives (comme en 2005 au Centre Georges-Pompidou à Paris). À partir des années 1970, il développe une œuvre singulière qui s’exprime par les moyens les plus variés (photographie, peinture, sculpture, objets, vidéo, installation, édition d’ouvrages et performance). Dans ces travaux empreints d’ironie, mais aussi de mélancolie et d’un certain désenchantement, il développe, à partir de sa propre personne, une réflexion autour de l’identité et de l‘individu dans un univers globalisé.
Après de brefs débuts en peinture, Urs Lüthi se tourne dès 1969 vers le médium photographique. Par le biais d’une installation exposée au Kunstmuseum de Lucerne en 1970, VisualisierteDenkprozesse(Évolutions visuelles de mentalités), il crée un double qui apparaîtra dans ses compositions suivantes, produisant un flou implicite entre l’auteur et son motif. Dans des autoportraits en noir et blanc, puis en couleur, Urs Lüthi se dépeint sous les traits d’un jeune dandy, avec un goût prononcé pour le travestissement. Tantôt homme, tantôt femme et jouant souvent sur l’androgynie, il sème le trouble sur l’identité sexuelle par le biais d’un dispositif minimaliste : une simple variation de pose, une modification de l’expression du visage, voire l’utilisation nuancée de la lumière, peuvent induire des métamorphoses corporelles jusqu’à inverser le genre du protagoniste. Des photographies comme Lüthi pleure aussi pour vous (1970) ou I’llBe YourMirror (1972) deviennent des images iconiques de son travail. Ses œuvres fonctionnent selon le principe de la série, avec des diptyques et triptyques où l’on voit s’élaborer une narration. « C’est l’étroite passerelle où l’on rit et où l’on pleure qui est en fait mon champ de travail », reconnaît l’artiste dans un entretien en 1993. Avec l’exposition organisée par la galerie Toni-Gerber à Berne en 1970 Lüthi Is ThougherThanHe Appearsto Be son œuvre gagne un écho international. Bien que son travail ait pu être assimilé au body art, c’est plutôt des strates multiples de l’être humain et des effets manipulateurs de l‘image dont il témoigne. Parfois affublé d’un bonnet à cornes ou d‘un faux nez en carton à la manière d’un Pinocchio, il accentue le côté clownesque de son personnage.
Avec le tableau Happy Couple (acrylique sur toile, 1980), Lüthi abandonne la photographie au profit de la peinture, son mode d’expression unique jusqu’en 1989. Le malaise existentiel le pousse à explorer d’autres modèles fournis par l’histoire de l’art, s’appropriant tour à tour les codes du dessin d’enfant, de la bande dessinée, du graffiti, du nu classique, du photoréalisme ou de l’art géométrique. En témoignent les séries Grosse Gefühle (De Grands sentiments, 1985-1988) et Reine Hingabe (Pure dévotion), 1985. L’autoportrait stricto sensudisparaît, mais le travail d’autoreprésentation se poursuit : « En se fondant dans sa peinture, Urs Lüthi commence à s’identifier à l’objectivité du monde qui parle à place » (Rainer Michael Mason, 1991).
À la fin des années 1980, la création de Lüthi prend une tournure plus conceptuelle : la sculpture en bronze, la photogravure, la peinture sous verre et de nouveau la photographie constituent ses nouveaux moyens d’expression. L’artiste tente d’« ordonner le monde » comme l’annonce le titre de sa série Universelle Ordnung(1989-1992)qui comprend en particulier une série d’autoportraits sous la forme de bustes en bronze posés sur des socles classiques, à mi-chemin entre les collections antiques de bustes et les têtes de caractère grotesques de Franz Xaver Messerschmidt.
L’esprit facétieux de l’artiste jouant avec l’absurde réapparaît de manière plus évidente dans son complexe d’œuvres Placebos & Surrogates(1996-2000) où il intègre à son œuvre le langage séducteur et mensonger de la publicité. Plus que jamais, l’œuvre d’Urs Lüthi se fait ambivalente, oscillant entre désillusion et satire sociale d’un côté, humour de l’autre. L’installation Run for YourLife (2000), présentée au pavillon suisse de la Biennale de Venise en 2001, juxtapose des vidéos de l’artiste courant sur un tapis de course avec la photographie d’une tête de mort et la reproduction d’une couverture de magazine érotique titrée « Autoritratto ». En 2015, l’artiste conçoit une installation permanente pour le Kunstmuseum de Lucerne. Point d’orgue de l’ensemble, l’Autoportrait en artiste (2011) en bronze le représente un balai à la main. Une « métaphore du travail de l’artiste » à propos de laquelle Urs Lüthi écrit : « L’artiste range, nettoie, ordonne et tente de trouver encore et encore de la structure, du sens, de l’ordre et de la beauté dans le chaos du monde. »
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Écrit par
- Ingrid DUBACH-LEMAINQUE : historienne d'art, attachée de conservation
Classification
Autres références
-
BODY ART
- Écrit par Anne TRONCHE
- 4 587 mots
- 1 média
...transformation du corps masculin en corps féminin, à l'aide du travestissement et du maquillage, construit dans l'œuvre essentiellement photographique d'Urs Lüthi une réflexion sur l'identité sociale liée à la sexualité, mais aussi à l'âge. Ses autoportraits élaborés autour du simulacre annoncent...
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