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TÉNÉBRISME

<it>Saint Sébastien soigné par sainte Irène</it>, G. de La Tour - crédits : G. Dagli orti/ De Agostini/ Getty Images

Saint Sébastien soigné par sainte Irène, G. de La Tour

Historiquement, le ténébrisme s'affirme autour des peintres du xviie siècle qui ont suivi la leçon de Caravage dans l'utilisation de l'ombre comme moyen d'expression plastique, peintres appelés pour cela tenebrosi. Il faut donc remonter à Caravage, à son sens de la lumière et de l'ombre qui apparaît dans son œuvre surtout autour de 1600, par exemple dans Le Repas à Emmaüs (pinacothèque de la Brera, Milan). Pour la première fois, il s'agit non pas d'un simple jeu de lumière réduisant les formes à des volumes schématisés comme dans la peinture maniériste, mais d'une nouvelle sensibilité par laquelle la lumière devient le moyen d'existence des formes. C'est « une lumière unie, qui arrive de côté sans reflet, comme dans une chambre aux murs noirs, éclairée par une fenêtre ; les ombres très sombres et les lumières très claires donnent du relief à la peinture » (Mancini, Considerazioni sulla pittura, 1619-1621). La solution de Caravage est révolutionnaire, car elle permet de renforcer la forme par un éclat vif et d'accentuer ainsi le volume, ou de la noyer dans l'ombre et même de la détruire. Cette attaque portée aux canons de la forme fera scandale, puisqu'elle ose faire éclater les règles de l'anatomie classique, parfois déformée, mais jamais encore disloquée. Le ténébrisme produit ainsi une sorte de choc physique. Il ne s'agit pas du clair-obscur vibrant de Tintoret, mais d'une vision différente de la réalité qui acquiert ainsi une nouvelle consistance matérielle. Aussi n'est-il pas étonnant que l'on s'éloigne des recherches des coloristes pour s'occuper davantage des couleurs virtuelles de l'imaginaire. Aux noms de Caravage et de ténébrisme est attaché le regard porté sur la réalité ; cet art est parfois qualifié de vulgaire car il emprunte ses sujets à la vie quotidienne. La beauté ne correspond plus aux formes idéales de l'humanisme, de même que les ténèbres appellent une spiritualité nouvelle qui s'affirme au moment de la Contre-Réforme. C'est un des chemins empruntés par les tenebrosi et par d'autres peintres contemporains, La Tour, Zurbarán ou Rembrandt ; attachés au mysticisme pictural, ils considèrent la lumière comme un instrument de spiritualité. Mais il convient de distinguer dans le ténébrisme deux directions : le courant esthétique et le mode d'expression. Caravage n'a pas eu de sérieux imitateur avant 1600 et, entre 1605 et 1615, de jeunes peintres italiens se sont surtout consacrés aux sujets religieux peints dans les ténèbres, tels Orazio Gentileschi et Carlo Saraceni. Peu après 1615 intervient une phase originale autour de Manfredi, dont les thèmes populaires (musiciens, bohémiennes...) sont appelés à une plus grande influence surtout auprès des Nordiques. Enfin, entre 1620 et 1630, c'est la dernière génération des « ténébristes caravagesques » où se remarquent des Français comme Vouet (jusqu'en 1627) ou Valentin. Nombreuses sont les variantes dans un courant qui s'étend sur une trentaine d'années et qui touche de nombreux peintres de culture et de tempéraments différents. Les uns retiennent la sensibilité des rapports lumineux, les autres recherchent des éclairages savants qui créent, avant Rembrandt, des ombres lumineuses ; beaucoup, enfin, se servent du ténébrisme comme d'une technique permettant de rehausser les volumes sur un fond obscur (par exemple, pour les natures mortes). Peu auront la puissance évocatrice, l'aspect surréel des Pèlerins d'Emmaüs ou de La Ronde de nuit de Rembrandt. Plus fréquente sera l'utilisation de contrastes lumineux violents dégageant un pathétique réel convenant bien au sentiment baroque (Caracciolo). Un problème se pose : celui du ténébrisme espagnol qui ne doit pas tout à Caravage ;[...]

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Écrit par

  • : historien de l'art, chargé de mission à la Caisse nationale des monuments historiques et des sites

Classification

Pour citer cet article

Jean-Pierre MOUILLESEAUX. TÉNÉBRISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Saint Sébastien soigné par sainte Irène</it>, G. de La Tour - crédits : G. Dagli orti/ De Agostini/ Getty Images

Saint Sébastien soigné par sainte Irène, G. de La Tour

La Ronde de nuit (La Compagnie du capitaine Frans Banning Cocq), Rembrandt - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

La Ronde de nuit (La Compagnie du capitaine Frans Banning Cocq), Rembrandt

<it>Vieille Femme faisant frire des œufs</it>, D. Velázquez - crédits :  Bridgeman Images

Vieille Femme faisant frire des œufs, D. Velázquez

Autres références

  • LEYSTER JUDITH (1609-1660)

    • Écrit par Universalis
    • 385 mots

    Peintre néerlandaise, Judith Leyster fut l'une des rares artistes féminines de son temps à sortir de l'ombre. Parmi ses œuvres les plus connues figurent des portraits, des peintures de genre et des natures mortes.

    Fille d'un brasseur, baptisée le 28 juillet 1609 à Haarlem, non loin d'Amsterdam,...

  • NAVARRETE JUAN FERNÁNDEZ DE (1526-1579)

    • Écrit par Claudie RESSORT
    • 319 mots
    • 1 média

    Peintre espagnol. Sourd-muet depuis l'âge de trois ans (El Mudo) et d'une santé très précaire, Juan Fernández de Navarrete ne put réaliser pleinement ses dons de décorateur et de coloriste. Son talent est reconnu très tôt par les hiéronymites du monastère de La Estrella (Navarre) qui l'accueillent...

  • NOCTURNE, peinture

    • Écrit par Robert FOHR
    • 849 mots
    • 3 médias

    En peinture, certains thèmes religieux (Songe de Joseph, Nativité, Adoration des bergers, Jésus au jardin des Oliviers, Reniement de saint Pierre, etc.) ou mythologiques (Diane et Endymion, Amour découvrant Psyché endormie...) impliquent la suggestion de l'obscurité nocturne. C'est dans cette...

  • RIBALTA FRANCISCO (1564-1628)

    • Écrit par Antonio BONET-CORREA
    • 388 mots

    Originaire de Catalogne, Ribalta inaugure, pour ainsi dire, la peinture espagnole du xviie siècle. Après avoir vécu à Barcelone, Ribalta travaille à Madrid vers 1581 et s'installe définitivement en 1599 à Valence, ville où son meilleur client, en dehors des couvents, fut Juan de Ribera, prélat de...

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Voir aussi