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LABOU TANSI SONY (1947-1995)

Dramaturge et romancier, Sony Labou Tansi – Marcel Sony pour l'état civil – est né le 5 juin 1947 à Kiwanza, au Congo belge (auj. République démocratique du Congo). C'est là qu'il passe son enfance, auprès de sa grand-mère, qui l'a familiarisé avec les traditions et les légendes proliférantes du vieux fonds culturel bantou. De nationalité congolaise, il poursuit ses études à Brazzaville, notamment à l'École normale supérieure, dont il sort professeur d'anglais. Il occupe plusieurs postes d'enseignement dans diverses régions du Congo, mais se passionne surtout pour le théâtre. En 1980, il prend la direction d'une troupe qui devient le Rocado Zulu Théâtre (ce nom est presque une devise à l'africaine, pour dire le désir d'un théâtre résistant comme le rocher et aussi ardent que le héros zoulou Chaka). La troupe représente des pièces d'auteurs africains, des adaptations de romans et de nouvelles et des créations collectives. Le succès vient vite, et le Rocado Zulu Théâtre se produit à l'étranger, notamment au festival des Francophonies de Limoges, à partir de 1985. Sony Labou Tansi écrit lui-même pour le théâtre, tout en préférant laisser à d'autres le soin de monter ses pièces : Conscience de tracteur, 1979 ; La Parenthèse de sang, 1981 ; Je soussigné cardiaque, 1981, mise en scène de Gabriel Garran en 1985 ; Antoine m'a vendu son destin, 1986, mise en scène de Daniel Mesguisch ; Moi, veuve de l'Empire, 1987 ; Une chouette petite vie bien osée, 1992 ; etc. Ce théâtre s'enracine aux formes des rituels théâtralisés de la civilisation kongo : kingiliza, forme de théâtre thérapeutique pour les fous et les inadaptés ; nkoloba, théâtre de marionnettes actualisant des fétiches ; lemba ; wala ; etc. Mais sa modernité tient à l'invention d'une langue décapante, forte et drôle, multipliant ruptures et jeux de mots, à laquelle Daniel Mesguisch reconnaissait le mérite de se situer résolument “ailleurs”.

Sony Labou Tansi a publié six romans. Le premier, La Vie et demie (1979), conte la chronique terrifiante d'une dynastie de “guides providentiels” installée au pouvoir dans un pays africain qui ressemble à tous les autres : de Jean-Cœur de Pierre à Félix-le-Tropical, ils se révèlent plus bouffons et sanguinaires les uns que les autres, et tous sont poursuivis par la vengeance de Chaïdana, l'opposante ressuscitée. Si l'influence des grands romanciers latino-américains (García Márquez en premier) est visible et avouée dans l'organisation romanesque, l'écriture, comme celle de son théâtre, joue des dérapages et des surprises langagières : détournements et retournements des expressions idiomatiques du français, écho des inflexions du français parlé d'Afrique, plaisir d'inventer des toponymes et des anthroponymes fantaisistes...

Les romans suivants (L'État honteux, 1981 ; L'Anté-peuple, 1983 ; Les Sept Solitudes de Lorsa Lopez, 1985 ; Les Yeux du volcan, 1988), jusqu'au dernier (Le Commencement des douleurs, 1995), paru après la mort de Sony Labou Tansi, racontent tous des histoires fantaisistes, baroques, foisonnantes, avec toujours leur part d'horreur. Car le romancier est resté fidèle au projet qu'il se fixait au début de son premier roman : « J'écris pour qu'il fasse peur en moi. » Ses romans disent que l'Afrique et le monde sont invivables. Mais la luxuriance verbale, la libération par le rire tentent d'exorciser les monstres. La truculence de Sony Labou Tansi, les grands éclats de rire qu'il communique à ses phrases viennent opposer aux ogres du pouvoir son irréductible esprit de résistance.

— Jean-Louis JOUBERT

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Pour citer cet article

Jean-Louis JOUBERT. LABOU TANSI SONY (1947-1995) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures

    • Écrit par Jean DERIVE, Jean-Louis JOUBERT, Michel LABAN
    • 16 566 mots
    • 2 médias
    ...qui ont confisqué le pouvoir commandent les œuvres d'Alioum Fantouré (Le Cercle des tropiques, 1972), Tierno Monénembo (Les Crapauds-brousse, 1979), Sony Labou Tansi (La Vie et demie, 1979), Henri Lopes (Le Pleurer-rire, 1982). L'incertitude existentielle du Jeune Homme de sable (1979) de Williams...
  • FRANCOPHONES LITTÉRATURES

    • Écrit par Jean-Marc MOURA
    • 7 220 mots
    • 5 médias
    En Afrique, les romans de Sony Labou Tansi sont publiés à partir de 1979 (La Vie et demie) avant qu’Ahmadou Kourouma ne revienne à l’écriture en 1990 (Monnè, outrages et défis). En Haïti, la diaspora continue de publier et le mouvement de la créolité se développe aux Antilles. Dans le Pacifique,...
  • POSTCOLONIALES FRANCOPHONES (LITTÉRATURES)

    • Écrit par Jean-Marc MOURA
    • 4 972 mots
    • 6 médias
    ...du xxe siècle sont en effet marquées par un élargissement international ouvrant de nouvelles perspectives aux écrivains. En Afrique, les romans de Sony Labou Tansi (1947-1995), publiés à partir de 1979 (La Vie et demie), témoignent de la déstructuration du Congo, pays appartenant à l’espace africain...

Voir aussi