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DAHRENDORF RALF GUSTAV (1929-2009)

Une sociologie de la société industrielle

Dès ses premiers travaux sur le fonctionnement de la société industrielle, Ralf Dahrendorf critique la doctrine fonctionnaliste du consensus normatif et de l'équilibre social et lui oppose la thèse selon laquelle toutes les sociétés complexes comportent nécessairement et en permanence une multiplicité de conflits d'intérêts, dissociés les uns des autres mais tous également soumis à diverses formes de régulation. Ces conflits d'intérêts qui divisent la société ne sont pas tous des conflits de classes portés par des luttes de classes et aboutissant fatalement à la révolution. La lutte des classes n'est qu'un conflit d'intérêts parmi d'autres, une forme spécifique caractérisée par des circonstances et des situations particulières.

Après avoir réfuté la doctrine marxiste soutenant que les classes sociales et les conflits de classes dérivent principalement de l'inégale distribution de la propriété des moyens de production, l'auteur de Classes et conflits de classes dans la société industrielle distingue le pouvoir (attaché à la personne) de l'autorité (liée aux statuts et aux rôles sociaux), puis affirme qu'à l'origine de tous les conflits il y a une inégale répartition de l'autorité parmi les groupes sociaux et les personnes. Dans la répartition des richesses, la dissymétrie est plus ou moins relative, tandis que dans celle de l'autorité l'asymétrie reste toujours absolue. D'un côté, il y a ceux qui détiennent l'autorité et, de l'autre, ceux qui obéissent, d'où des intérêts antagonistes opposant les détenteurs de l'autorité attachés au maintien du statu quo à ceux qui en sont dépourvus et de ce fait favorables au changement. Cependant, pour que cet antagonisme se transforme en conflit, il faut que ceux qui partagent des intérêts liés à leur situation commune constituent explicitement un groupe d'intérêts, c'est-à-dire une organisation dotée d'un programme et de buts.

Dans les sociétés modernes, les postes d'autorité sont multiples, différents, dissociés les uns des autres, d'où un pluralisme d'oppositions et de conflits. Lorsque des groupes occupent des postes d'autorité dans différents secteurs ou dans diverses organisations, il y a alors une surimposition des groupes d'intérêts. Dans ce cas, le groupe d'intérêts devient une classe sociale et le conflit d'intérêts qui les oppose peut être alors appelé lutte des classes. Dans les conflits, il faut distinguer l'intensité et la violence. La première dépend de l'association de plusieurs facteurs (énergies, passions, émotions, enjeux et conséquences de la victoire ou de la défaite, etc.), tandis que la seconde est fonction des moyens employés. L'une et l'autre décroissent dans la mesure où les groupes d'intérêts peuvent s'organiser et institutionnaliser leurs pratiques. Le changement ne résulte jamais de la violence du conflit, mais plutôt de son intensité. La résolution — ou la régulation — d'un conflit n'est jamais totale et définitive, car il reste toujours des intérêts insatisfaits, lesquels se manifesteront à travers de nouveaux conflits. Pour être féconds, cependant, ces conflits doivent être canalisés, et se trouver par conséquent soumis à la médiation des institutions.

Puisque tous les conflits d'intérêts sont réductibles à des conflits d'autorité, il ne peut pas y avoir coïncidence entre la classe économiquement dominante et la classe politiquement détentrice de l'autorité. La stratification sociale est donc intrinsèque à la société. Elle est à l'origine de deux types d'inégalité : la première, transitive, implique la dépendance, la subordination, la soumission à l'autorité ; la seconde, intransitive, découle[...]

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Écrit par

  • : professeur ordinaire de sociologie générale à l'université de Lausanne, directeur de l'Institut d'anthropologie et de sociologie

Classification

Pour citer cet article

Giovanni BUSINO. DAHRENDORF RALF GUSTAV (1929-2009) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONFLITS SOCIAUX

    • Écrit par Alain TOURAINE
    • 15 439 mots
    • 8 médias
    ...avait déjà insisté sur l'importance centrale du type d'organisation qu'il nommait Herrschaftsverband (association à organisation hiérarchique). R.  Dahrendorf a repris et étendu ses remarques. Il n'hésite pas à appeler rapports de classes les rapports d' autorité, ceux qui unissent et opposent dirigeants...
  • HIÉRARCHIE

    • Écrit par Raymond BOUDON
    • 3 998 mots
    Dans son article classique sur l'origine des inégalités, Dahrendorf reprend le même modèle du marché. Tout phénomène de hiérarchisation sociale, dit-il, s'explique par des mécanismes d'offre et de demande. Ainsi, dans un État idéologique, la demande de productions intellectuelles de type idéologique...

Voir aussi