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PSAUME 44 suivi de LA MANSARDE (D. Kis) Fiche de lecture

Tout au long de son œuvre, Danilo Kiš, s’il cherchait à dénoncer les totalitarismes, s’est montré tout aussi préoccupé par des questions d’écriture et de référence au réel. Il a souvent déclaré qu’il ne souhaitait nullement inventer des fictions détachées de la réalité : « Quant à moi, je crois au document, à la confession, et au jeu de l’esprit. » Son œuvre la plus célèbre est une trilogie familiale dénonçant le nazisme, Le Cirque de famille (1965-1971), fondée sur des souvenirs personnels, qu’il dépasse cependant. Par la suite, endossant davantage le rôle du chroniqueur, il s’oriente vers ce que l’on peut qualifier de « nouvelle documentée », riche de références et de témoignages, critiquant le stalinisme (Un tombeau pour Boris Davidovitch, 1976) ou évoquant le lien entre l’amour et la mort (Encyclopédie des morts, 1983).

Une entrée en littérature

Écrit en 1960 et traduit du serbo-croate par Pascale Delpech (Fayard, 2017), le roman Psaume 44est longtemps resté inédit en France. Danilo Kiš, né d’une mère monténégrine orthodoxe et d’un père juif hongrois, mort à Auschwitz, nous plonge dans la situation tendue d’une nuit d’évasion du camp de Birkenau, alors que le grondement des canons soviétiques se rapproche. Trois personnages effectuent cette tentative : Zhana, une jeune femme décidée, Maria, davantage désemparée, d’autant qu’elle protège Jan, son nourrisson de deux mois. Pour Polia, agonisante, il est trop tard. Zhana observe lucidement qu’il est plus difficile de mourir à présent que l’espoir renaît. Les heures d’attente sont l’occasion de revenir sur la vie du camp et des souvenirs de l’avant-guerre avec la montée de l’antisémitisme.

Kiš jugera sévèrement ce roman qu’il estimait sans humour ni distance, et qui fut rédigé dans le cadre d’un concours littéraire organisé par des associations juives de Belgrade, qui lui décernèrent le prix. De fait, les pages évoquant les « journées froides » de Novi Sad, en Voïvodine (1942), au cours desquelles un millier de Juifs et de Serbes furent massacrés par les fascistes hongrois, sont insoutenables. En revanche, l’humour noir n’est pas absent. Jan a pour père Jakob, un médecin juif employé par le docteur Nietzsche, « Hippocrate nazi », « chercheur renommé sur les “cobayes humains” ». Ce « personnage de cartes à jouer en uniforme prussien », pressentant la défaite, demande à Jakob, enfreignant l’ordre de Himmler, de protéger la collection de crânes et de squelettes des Juifs « dans l’intérêt de la science » car « elle pourrait être tout ce qui restera de votre race anéantie ».

Kiš insistera plus tard sur la nécessité, pour l’artiste, d’éviter l’enrôlement militant, toujours trop lié à l’instant, pour demeurer « hamléto-werthérien ». Et il précisera : « Je ne suis pas un écrivain juif », et expliquera : « Les Juifs ne sont dans mes livres que littérarité, singularisation au sens du formalisme russe (ostranenie). Parce que le monde des Juifs d’Europe centrale est un monde englouti, un monde d’hier et, comme tel, situé dans le champ du réel-non-réel. Donc dans le champ de la littérature. Je ne suis pas un dissident non plus. Peut-être un écrivain d’Europe centrale, si cela veut dire quelque chose. »

Pourtant, il se pourrait bien que la crudité de certaines situations du roman s’explique par son titre biblique. Dans le psaume 44 – en étrange coïncidence avec l’année 1944, date à laquelle se situe l’intrigue –, on lit une série de reproches adressée à Jéhovah, accusé de faire reculer les Juifs devant l’ennemi. Comme ce peuple n’a pas violé son alliance, le chant n’hésite pas à accuser Dieu : « Mais c’est à cause de toi que l’on nous égorge tous les jours. Qu’on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. » L’exhortation qui suit confine[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en lettres modernes, habilité à diriger des recherches en littératures comparées

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